Une année après la signature de cet accord à 2,9 milliards de francs, et malgré de nombreuses rencontres entre l’industrie suisse et Lockheed Martin, les contrats se font toujours attendre.
Les négociations concernant la participation directe des entreprises suisses à l'assemblage du F-35 ou à la fourniture de certaines pièces et logiciels sont toujours en cours.
Pire, l'entreprise soleuroise Mecaplex, souvent citée par Lockheed Martin pour développer une partie du cockpit de l'avion de combat, s’est carrément désistée. Cela pour des raisons idéologiques, indique-t-on en coulisse. Le porte-parole de la société, lui, n’a pas souhaité faire de commentaire.
L'industrie s'impatiente
Reste qu'au sein de l’industrie, on commence à s’impatienter. Les nouveaux avions doivent certes être livrées courant 2028, mais c’est maintenant qu’il faut signer des contrats, plaide Philippe Zahno, secrétaire général du Groupe romand pour le matériel de défense et de sécurité (GRPM):
"A notre connaissance, il y a une petite dizaine d'entreprises en Suisse romande qui sont en voie de signature, dans les domaines de la mécanique, de la recherche et du spatial. C'est très bien, mais c'est encore largement insuffisant. Les Américains disent (que ces affaires compensatoires vont être réalisées), mais dans notre pays ce discours ne passe plus. Une accélération et une vision claire sur les intentions d'Armasuisse et du Département fédéral de la défense (DDPS) feraient que la méfiance en Suisse romande diminuerait."
Une accélération et une vision claire sur les intentions d'Armasuisset et du Département fédéral de la défense feraient que la méfiance en Suisse romande diminuerait
Ces craintes, relayées dans le journal Le Temps récemment, concernent la répartition régionale des affaires compensatoires, avec des entreprises alémaniques, et plus particulièrement Ruag, qui pourraient se tailler la part du lion.
"SR Technics, à Zurich, a un précontrat pour près d'un milliard de francs. Il est aussi fortement question de monter quatre avions à Emmen (LU) pour 400 millions", constate Philippe Zahno. "On est donc déjà à la moitié des affaires compensatoires. Cela va être très compliqué d'aller en Suisse romande pour d'autres contrats. Il ne restera pas grand-chose."
Engagements clairs réclamés
Plusieurs élus romands, au niveau cantonal et fédéral, exigent des engagements clairs et chiffrés de la part des deux principaux acteurs concernés, soit Lockheed Martin et le DDPS.
Ces derniers, eux, se veulent rassurants concernant le risque d'un déséquilibre régional, soulignant que tout sera fait pour respecter les engagements: "Nous avons dans le pipeline quelques projets intéressants et prometteurs, ce qui nous permettra de remplir nos obligations envers la Suisse dans les délais impartis, fixé à 2034", assure Patrick Nyfeler, directeur général de Lockheed Martin Suisse.
Nous avons dans le pipeline quelques projets intéressants et prometteurs, ce qui nous permettra de remplir nos obligations envers la Suisse dans les délais impartis
L'avionneur relève aussi une certaine complexité dans les procédures: "Dans de nombreux cas, nous parlons ici de technologies qui sont à la pointe, au niveau mondial. C'est pourquoi ces négociations prennent un certain temps. Nous cherchons, avec Armasuisse et nos partenaires, des solutions qui offrent une plus-value à toutes les parties concernées."
Mais la conclusion de ces opérations nécessite une autre étape: la signature d'un accord-cadre entre Lockheed Martin et le gouvernement américain, ce qui pourrait prendre du temps.
Des affaires indirectes déjà conclues
L'acquisition des F-35 comprend également des affaires compensatoires indirectes. Plus concrètement, il s'agit de collaborations industrielles ou de mandats de recherche, à la fois dans le domaine civil et militaire.
L'avionneur américain souligne que certaines de ces opérations ont déjà été signées. Le site d'Armasuisse en recense effectivement douze, d’une valeur totale de 16 millions de francs, la moitié conclue avec des PME alémaniques, l’autre en Suisse romande.
Grande opacité
Impossible en l'état d'en savoir plus sur ces accords, sur les types de service, les pièces concernées ou avec qui précisément ces contrats indirects ont été signés.
Contactés, Lockheed Martin et Armasuisse renvoient vers les entreprises elles-mêmes. Celles-ci évoquent des filiales ou des sous-traitants de l’avionneur américain. Mais force est de constater qu'une grande opacité règne dans ce dossier.
Dans un rapport sévère daté de 2022, les commissions de gestion du Parlement ont exigé plus de transparence sur ces transactions.
De son côté, Armasuisse réfute toute opacité et estime communiquer suffisamment autour des affaires compensatoires. Elle précise que le cadre légal ne lui permettrait pas d’en dire davantage, au risque de violer le secret des affaires.
Marc Menichini et Mathieu Henderson