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Ecoles: quand le débat fait débat

Vaud : le débat politique à l'école interdit. [RTS - Joëlle Cachin]
Ecoles: quand le débat fait débat / 15 minutes / 14 min. / le 29 septembre 2023
En année électorale, l'école doit-elle accueillir en son sein des débats politiques, au risque d'alimenter le prosélytisme des différents partis et formations? Le magazine 15 Minutes s'est plongé dans l'éducation civique des jeunes, pour laquelle les recettes sont nombreuses et ne se ressemblent pas.

A la gare, sur les marchés, dans les médias ou placardés dans les rues, les politiciennes et les politiciens font tout pour séduire, à moins d’un mois des élections fédérales.

Dans les écoles vaudoises, en revanche, c'est silence radio. Le canton a interdit aux établissements d’organiser des débats électoraux entre leurs murs, jusqu’à dix semaines avant une élection. Raison invoquée: l’école doit préserver sa neutralité. La décision a fait des vagues, la gauche a même déposé un recours auprès de la Cour constitutionnelle, qui a toutefois jugé sa demande irrecevable.

>> Lire : Les débats politiques restent interdits dans les écoles vaudoises: le recours est jugé "irrecevable"

Même si vous n’avez pas encore le droit de vote, la politique vous concerne. Elle décide à quel âge vous pouvez acheter de l’alcool, combien d’heures vous allez passer à travailler… ou encore qui devra faire l’armée.

Mischa Schächter, collaborateur de l'association "Discuss it"

Sur le débat politique à l'école, certains cantons ont pris une option diamétralement opposée à celle choisie par l'instruction publique vaudoise. A Zurich, par exemple, les débats électoraux sont autorisés et même encouragés dans les lieux de formation. A la Berufsfachschule (BFS) de Winterthour - l’école professionnelle pour devenir assistant socio-éducatif - un débat organisé dans l’amphithéâtre fait salle comble.

"Même si vous n’avez pas encore le droit de vote, la politique vous concerne. Elle décide à quel âge vous pouvez acheter de l’alcool, combien d’heures vous allez passer à travailler… ou encore qui devra faire l’armée. C’est pour ça qu’on organise ces débats", explique le modérateur Mischa Schächter, actif pour l'association Discuss it qui organise ces événements aux quatre coins de la Suisse.

Intégrer les jeunes en tant que citoyens

Sur le podium, une Vert'libérale, une PLR, un Vert et un UDC discutent migration. Les interventions des jeunes donnent toutefois rapidement un tournant personnel à la discussion. "Ce n'est pas forcément à cause de la migration qu'on n'a pas assez de monde dans les soins. C'est parce qu'on est extrêmement sous-payés… Je parie que 80% des gens ici ne travailleront pas jusqu’à 60 ans, parce qu’on ne s’en sort pas financièrement", affirme ainsi une étudiante.

"Je crois que c’est essentiel que les apprentis puissent expérimenter de près la politique. On sait que c’est une catégorie de jeunes qui participe peu et avec ce genre d’actions, on espère pouvoir les intégrer en tant que citoyens à la vie politique", explique Markus Zwyssig, le responsable zurichois des écoles professionnelles.

Les débats ont lieu partout ailleurs de manière abondante, on ne voit pas pourquoi il faudrait en plus en rajouter à l'école.

Marie-Hélène Miauton, chroniqueuse

Le fait que les professeurs ne doivent pas influencer les jeunes, afin que ces derniers puissent se faire leur propre opinion, est un thème récurrent soulevé par l'organisation de ces débats. "C’est pour cela que nous sommes très contents d’avoir ces podiums organisés par les modérateurs expérimentés", indique le responsable.

Sur le rôle de l'école dans la formation à la vie civique, les avis divergent. "Les débats ont lieu partout ailleurs de manière abondante, on ne voit pas pourquoi il faudrait en plus en rajouter à l'école, cette dernière étant par définition un lieu d'acquisition de savoirs et de débats d'opinion", argue par exemple Marie-Hélène Miauton, chroniqueuse au journal Le Temps et fondatrice de l'institut de recherches MIS Trend.

Ces débats aident à déconstruire des peurs. C'est de l’éducation à la politique.

Markus Zwyssig, responsable zurichois des écoles professionnelles

"Accompagner les élèves dans cet apprentissage n'est pas du tout la même chose que débattre dans un bar, ou de se retrouver seul face à une émission télévisuelle ou les réseaux sociaux. L'école permet précisément d'avoir cet encadrement pédagogique, et c'est son rôle", estime de son côté Cora Antonioli, vice-présidente du SSP et enseignante, au micro de 15 Minutes.

"Seul, on peut vite s’y perdre", admet Markus Zwyssig, pour qui ces débats aident à "déconstruire des peurs". "C'est de l’éducation à la politique", souligne le responsable. Le but ultime, plutôt que d'influer sur l'orientation politique des étudiantes et étudiants, est de leur donner des outils critiques "pour qu'ils questionnent ce qu'ils entendent", qu'ils sachent reconnaître un argument et qu'ils puissent le vérifier le cas échéant.

Le meeting de protestation sous forme de débat à l'école d'agrilogie de Marcelin (VD). [Keystone - Laurent Gillieron]
Le meeting de protestation sous forme de débat à l'école d'agrilogie de Marcelin (VD). [Keystone - Laurent Gillieron]

Soif de débattre, plaisir de braver les interdits? Dans le canton de Vaud, une poignée d'élèves de l'Agrilogie à Marcelin, au-dessus de Morges, se sont donnés rendez-vous pour un débat malgré la directive du Département de l'enseignement et de la formation.

Pour son débat qu’il qualifie "d’interdit", Loris Socchi, militant de la Grève du climat, a invité des politiques et des candidats à débattre dans la cour. Pas dans l’école donc, mais juste sous les fenêtres de la direction - une manière d'interpréter le règlement qui prend la forme d'un pied-de-nez. "On ne peut pas nous interdire un droit démocratique qui est de débattre et de pouvoir s'intéresser à la politique", relève Loris Socchi.

"Pêche aux voix" presque inévitable

A l'issue du débat dans l'école professionnelle zurichoise, l'accusation de "partir à la pêche aux voix" n'est même pas esquivée: "En partie, c'est logique [que ça arrive]. Mais ça m’est un peu égal s’ils votent à droite ou à gauche, tant que le taux de participation des jeunes augmente. Et ce genre d’événement promeut cela", considère le Vert Michael Zundel.

L'UDC Urs Wegmann abonde: "Ce n'est peut-être pas facile, mais c'est exactement cela que je trouve passionnant. Je rentre en contact direct avec des gens qui ne m’ont pas cherché spécifiquement, mais qui sont juste là. Ca me montre ce qui préoccupe les jeunes. En tant que politicien, je trouve ça génial."

Reportage radio: Joëlle Cachin et Cédric Guigon

Version web: Katharina Kubicek

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