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Les coupes dans la presse romande, ça change quoi pour vous?

Les coupes s’enchaînent dans la presse romande: 28 postes biffés en septembre dernier chez Tamedia, 5,5 en janvier chez Ringier, 3 au Temps et à Heidi news fin août... Pourquoi la suppression d’une trentaine de postes fait-elle autant de bruit alors que d’autres secteurs licencient bien plus? Quel impact ont ces licenciements sur votre manière de vous informer? Et surtout, ces coupes, ça change quoi pour vous?
Les coupes dans la presse romande, ça change quoi pour vous?
Les coupes dans la presse romande, ça change quoi pour vous? / Ça change quoi pour vous ? / 6 min. / le 5 octobre 2023

Ces suppressions d'emplois ne datent pas d’hier. Depuis le début des années 90, la Suisse romande a vu se réduire le nombre de titres disponibles, entre disparitions et fusions. Exit La Suisse, Le Matin bleu, L'Hebdo, Le Matin version papier. Fusionnés Le Nouveau Quotidien et Le Journal de Genève, L'Impartial et L'Express, L'Illustré et TV8. Et la Suisse alémanique n’est pas en reste.

>> Lire : Tamedia annonce la suppression de 28 emplois en Suisse romande

On ne connaît pas le nombre de postes de journalistes qui sont passés à la trappe en 30 ans, mais on sait grâce à nos collègues de Republik que depuis 2016, une personne quitte la profession chaque semaine, ce qui fait 500 journalistes en moins en huit ans.

>> Lire aussi : Plusieurs médias romands sont en difficulté et réduisent la voilure

Un modèle en crise

Recevoir chaque matin le journal auquel on s’est abonné est un modèle en crise depuis des années et cette perte n'a pas été comblée par les abonnements en ligne. Comme le nombre d’abonnés baisse, les revenus liés à la publicité diminuent eux aussi et il faut faire des économies. Cet argument est toutefois contesté par les syndicats.

Ces licenciements sont indécents, scandaleux et absolument pas nécessaires économiquement. Nous demandons maintenant à Tamedia de revenir à la raison, de revenir en arrière

Melina Schroeter, Secrétaire syndicale Médias chez Syndicom, le 25 septembre 2023 dans le 12h45 de la RTS

>> Lire à ce sujet : Débrayage symbolique du personnel de Tamedia à Lausanne

Ce qui complique la donne pour les groupes de presse, en plus de la baisse du lectorat, c’est la transition numérique. Aujourd'hui, on veut être informé au saut du lit, directement sur son smartphone, en un temps record, avec des contenus gratuits, comme on en a pris l’habitude avec les réseaux sociaux. Des contenus digitaux nouveaux, bien plus chers à produire pour ces titres historiquement orientés uniquement vers le texte et le papier.

La raison de cette décision est liée à l’évolution de notre chiffre d’affaires en raison de la transformation digitale. Nous souffrons un peu plus en Suisse romande de la chute des recettes publicitaires

Christine Gabella, directrice de Tamedia pour la Suisse romande, le 21 septembre 2023 dans le 19h30

"Aujourd’hui, les médias de presse écrite sont dans une situation extrêmement compliquée où ils doivent gérer quotidiennement un journal papier et des déclinaisons numériques pour les supports de leur contenu. Ils doivent le faire à moyens constants, et même quelquefois avec des réductions d’effectif, alors qu'il faudrait avoir de nouvelles compétences, des fonctions nouvelles dans les rédactions, des moyens également...", a réagi le 25 septembre dernier dans l'émission Forum Nathalie Pignard Cheynel, professeure en journalisme numérique à l'Université de Neuchâtel.

>> Ecouter le grand débat de Forum consacré aux menaces sur la presse écrite en version papier :

Le grand débat - La presse écrite, la fin du papier?
Le grand débat - La presse écrite, la fin du papier? / Forum / 18 min. / le 25 septembre 2023

Défi des fake news

A l’heure des fausses informations, s’informer est devenu plus complexe. Rappelez-vous: pendant le Covid, on recevait dans nos fils Twitter ou via WhatsApp toutes sortes d’informations farfelues - que le virus se transmettait par les moustiques ou la 5G, que si l'on arrivait à retenir son souffle durant 10 secondes, on n'avait pas le Covid...

C’est au moment de l’élection de Donald Trump qu'on a vraiment découvert le concept de fake news. Les républicains qui étaient dans l’opposition cherchaient à diviser l’opinion publique, et qu'est-ce qu'on fait pour ça? On invente, on augmente, on déforme. Ça sert à créer de la confusion

Catherine Frammery, journaliste numérique au Temps, le 27 mars 2020 dans l'émission Y'a pas école

>> Ecouter Catherine Frammery sur la question des Fake News :

Éducation aux médias, les fake news. [RTS]
Éducation aux médias, les fake news / Y'a pas école? / 26 min. / le 22 août 2021

Ces fausses informations, pensées pour nous intéresser en jouant sur nos émotions et pour être partagées en masse sur les réseaux sociaux, entrent aussi en concurrence directe avec les contenus de la presse.

Et ce danger que représente le phénomène pour la démocratie alerte les autorités. "C'est un enjeu très important, parce que c'est un phénomène qu'utilisent certains Etats, notamment, pour prendre influence sur d’autres Etats. C'est une nouvelle forme de conflit [...] Certains groupes peuvent aussi utiliser la désinformation, l’influence pour parvenir à des buts politiques", déclarait le vice-chancelier de la Confédération André Simonazzi en mars 2022 dans Temps présent.

>> Revoir l'émission Temps présent du 3 mars 2022 :

Fake news, une pandémie de mensonges
Fake news, une pandémie de mensonges / Temps présent / 55 min. / le 3 mars 2022

Des initiatives sur la presse

Que ce soit pour la sauver ou pour la réduire, la Suisse a voté plusieurs fois sur des enjeux liés à la presse écrite et aux médias audiovisuels. Le 4 mars 2018, l’initiative "No Billag" pour la fin de la redevance audiovisuelle et donc des radios et télévisions de service public ainsi que de 34 chaînes locales soutenues est rejetée par 71,6% des voix et par l'ensemble des cantons. Nous voterons prochainement sur une autre initiative, "200 francs, ça suffit".

>> Plus de détails dans notre article : L'initiative pour une redevance à 200 francs a été déposée à Berne

En février 2022, c’est non à un paquet d’aide à la presse de 151 millions de francs. Une initiative combattue par la droite en Suisse alémanique, au motif que la presse et son économie doivent rester indépendantes des pouvoirs politiques.

Soutenir la presse pose aussi d’autres questions. "C’est très compliqué de commencer à faire une aide pour un secteur et de justifier qu'elle ne s'appliquera pas à d’autres. D’autant plus que dans ce secteur-là (...), il y a des grands groupes zurichois qui sont parfaitement rentables en ce moment. Ils ont fait le choix de dissocier leur activité de petites annonces de l’activité journalistique. Dès lors, pourquoi l’argent public devrait venir soutenir les activités journalistiques de ces groupes?", s'interrogeait le rédacteur en chef de l'Agefi Frédéric Lelièvre le 24 janvier 2022 dans l'émission Forum.

Une initiative parlementaire de la centriste fribourgeoise Isabelle Chassot va être discutée prochainement au Parlement. Elle propose des aides spécifiques aux médias électroniques et à l’Agence télégraphique suisse (ATS). La commission du National y est favorable.

>> Lire à ce sujet : Aide aux médias: les enjeux d'une votation qui s'annonce serrée

Et vous dans tout ça?

Moins de journalistes, moins de personnes qui lisent les journaux, et des fausses informations alléchantes sur les réseaux sociaux: il est devenu plus difficile de trouver les informations qui vous sont utiles et de mesurer leur importance. C’est pourtant le travail des journalistes de nous y aider. Avec internet, vous avez accès aux grands médias internationaux, mais pour ce qui se passe autour de chez vous, ce rôle reste celui de la presse locale et régionale.

Les journalistes sont soumis à des règles déontologiques qui garantissent que les informations fournies par les médias sont fiables. Vérifiez donc vos sources!

Enfin, la Suisse reste l'un des pays les mieux classés en termes de liberté de la presse et de nombre de journaux par habitante et habitant.

Claire Burgy

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