En Suisse en 2022, plus de 51% des rentes de l’assurance invalidité sont liées à un problème de santé mentale. On parle de schizophrénie, de décompensation psychique, de trouble bipolaire, de neurodiversité, mais ces troubles restent encore méconnus. Pourtant, cette souffrance pour les personnes concernées s’accompagne de discrimination et de stigmatisation.
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Dans l'émission Faut pas croire du 9 novembre 2019, Blaise Rochat évoquait une stigmatisation "souvent peu explicite": "On ne dit pas que vous êtes fou. Mais on va plutôt avoir des difficultés sur le plan professionnel, sur le plan des relations sociales et être petit à petit isolé", témoignait cet homme qui se rétablissait d'une décompensation psychique.
Des représentations problématiques
Dans nos sociétés occidentales, on se représente depuis longtemps la folie comme une pièce à deux faces, explique Anne Fauvel, docteure en histoire au CHUV: "Il y a d'abord un imaginaire un peu positif, du fou génial, du fou héroïque, du fou qui est connecté à des voix que les autres ne peuvent pas entendre", énumère-t-elle dans l'émission Dans la tête de.
On peut penser ici à Jeanne d’Arc, aux artistes comme Van Gogh et, plus près de nous, aux héroïnes des séries comme l’autiste génial de "Good doctor" ou l'agent de la CIA Carrie Mathison atteinte de trouble bipolaire dans "Homeland".
"Et l’inverse, presque le revers de la médaille, il y a la vision beaucoup plus noire, du fou dangereux, du fou asocial, de l’énergumène… Dans les deux cas, des super héros ou des super vilains qui seraient radicalement différents de vous et moi", poursuit Anne Fauvel.
Ces imaginaires sociaux se transforment en stigmatisation qui pèse sur les personnes concernées. Sans parler de l’image au cinéma des traitements psychiatriques, qui est loin de nous encourager à demander de l’aide.
Des discriminations
Grâce à la stabilisation, certaines personnes mènent une carrière avec un diagnostic de schizophrénie, comme Pierre-Bernard Elsig, greffier au tribunal cantonal vaudois. "Je témoigne pour montrer que les personnes qui sont atteintes peuvent bien vivre, mais avec des limites. Parce que j'ai quand même des limites: je suis greffier alors que tous mes contemporains sont juges, magistrats ou avocats. Quand on est stabilisé, on est normal. On est comme les autres", souligne-t-il.
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Mais tous les spécialistes ne recommandent pas de parler de votre trouble à votre employeur. Les chiffres sont clairs: si l'on sait dans votre environnement professionnel que vous avez eu un trouble psychique, vous avez deux à trois fois plus de risque de vous retrouver au chômage.
Autre exemple de discrimination, certaines personnes vivant avec un trouble mental sont aujourd’hui sous tutelle de portée générale et n’ont pas le droit de voter. C’est le cas de Mégane Michon qui témoignait dans Forum: "T’as 18 ans et on te coupe une grosse partie de ta majorité et de ta vie, car on te met sous curatelle de portée générale, parce qu’on ne te crois pas capable de faire les choses. Maintenant que je suis autonome et que je vis toute seule, j’ai voulu revoir ma curatelle", déclare-t-elle.
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Repenser la ville
La prévalence de personnes vivant avec une psychose est deux fois plus forte dans les villes. A Lausanne, une recherche pluridisciplinaire est en cours pour étudier l’impact du milieu urbain sur la santé mentale et imaginer des solutions avec les personnes concernées.
"Du fait de leurs difficultés, elles sont beaucoup plus sensibles à l’espace social (...), aux situations comme le bus, le métro et à toute une série d’éléments liés au milieu, comme le bruit, mais aussi la pollution. Les espaces verts sont aussi extrêmement importants. Ces personnes nous indiquent une série de choses pour lesquelles elles ont une sensibilité plus aigüe", expliquait le professeur de géographie sociale Ola Söderström dans La Matinale du 3 août dernier.
Partant de ce constat, la prochaine étape du projet vise à établir une ville avec plus d’accès aux soins pour moins faire porter la responsabilité de la santé aux patients et à leurs proches, mais en faire une question partagée.
Toutes et tous concernés
Les troubles psychiques concernent à des degrés variables une grande partie de la population."On pense qu’environ une personne sur deux connaîtra un trouble psychique au cours de sa vie. Cela peut être un trouble psychique léger ou beaucoup plus important, mais [avec toujours] des difficultés suffisantes pour engendrer une souffrance et des problèmes d’adaptation", détaillait le médecin-chef du service de psychiatrie des HUG Jean-Michel Aubry, dans le 19h30 du 2 octobre 2019.
Les changements actuels que rencontrent nos sociétés affectent de plus en plus la santé psychique de la population suisse. En témoignent la hausse des arrêts de travail pour cause de maladie psychique et la forte augmentation des hospitalisations pour trouble mental chez les jeunes.
Et vous dans tout ça ?
Que vous ou l’un de vos proches vive avec un trouble psychique, la Mad Pride nous rappelle que les discriminations et stigmatisations persistent. Vous pouvez demander de l’aide ou vous engager auprès des associations qui font bouger les lignes.
L’application Upway permet aux personnes souffrant de troubles psychiques ou de dépression de trouver des informations sur les maladies et les traitements et d'être soutenues dans leur vie quotidienne. L’idée est de partager de manière anonyme et en plusieurs langues entre pairs.
Pour penser ses propres clichés, déconstruire ses préjugés et peut-être faire le pas de demander de l’aide, le podcast "Dingue" de la RTS - qui se réécoute en tout temps - nous aide à mieux comprendre nos vulnérabilités mentales toutes les deux semaines.
Claire Burgy