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Les témoignages affluent après la diffusion du rapport sur les abus sexuels dans l’église

La parole se libère après la diffusion du rapport sur les abus sexuels dans l'église. Une victime témoigne à visage découvert.
La parole se libère après la diffusion du rapport sur les abus sexuels dans l'église. Une victime témoigne à visage découvert. / 19h30 / 3 min. / le 20 octobre 2023
Au moins 150 personnes, dont des victimes, sont sorties du bois depuis la publication du rapport choc de l’Université de Zurich. Une femme abusée par un abbé témoigne pour la première fois à visage découvert.

Le rapport a marqué les esprits. Il y a un peu plus d’un mois, l’Université de Zurich dévoilait les résultats de son étude sur les abus sexuels commis par des ecclésiastiques depuis 1950. Les auteures du rapport faisaient alors état de 1002 situations d’abus sexuels et précisaient que ce n’était que la pointe de l’iceberg.

>> Lire : Mille situations d'abus sexuels documentées dans l'Eglise catholique en Suisse

Depuis la publication de cette enquête, les témoignages affluent. Contactées par le Pôle Enquête de la RTS, les auteures du rapport expliquent avoir déjà reçu plus d’une centaine de messages et précisent devoir maintenant les examiner l’un après l’autre. Elle évoquent ainsi des "chiffres bruts qui ne sont pas très parlants".

Parole libérée

On peut toutefois déjà affirmer que des personnes victimes d’abus sexuels sont sorties du bois ce dernier mois. Le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg dit ainsi avoir été contacté par une dizaine de personnes dont la moitié mentionne des abus sexuels subis.

En Valais, Claude Bumann, président de la "Commission abus sexuels en contexte ecclésial" du diocèse de Sion, indique que cinq personnes se sont manifestées. Parmi elles, il y aurait trois victimes présumées.

Le téléphone du Groupe SAPEC (Soutien aux personnes abusées dans une relation d’autorité religieuse) a lui aussi sonné. Son président, Jacques Nuoffer, évoque entre 15 et 20 situations rapportées. Il y aurait des cas d’abus sexuels, mais aussi d’abus spirituels.

A la CECAR (Commission écoute-conciliation-arbitrage-réparation), on estime aussi à une vingtaine le nombre de personnes qui se sont annoncées. "La médiatisation du rapport de l’Université de Zurich leur a fait prendre conscience qu’elles n’étaient pas les seules victimes", explique Brigitte Ansermet, secrétaire de la CECAR.

"Un énorme pas"

Catherine Chevron-Tiberghien est une des personnes qui a contacté la CECAR. Cette Vaudoise de 60 ans a été abusée sexuellement par l’abbé de la paroisse du Grand-Saconnex, aujourd’hui décédé, quand elle était enfant.

Ces abus, elle n’en avait parlé qu’à ses proches. Mais aujourd’hui, elle souhaite témoigner à visage découvert, en acceptant que son nom soit publié. "C’est un énorme pas pour moi", confie-t-elle au 19h30. "J'ai décidé de contacter les auteures du rapport, mais aussi la CECAR pour deux raisons. La première, c’est pour dénoncer ce que l’Eglise appelle la justice du droit canon. Je continuerai jusqu’à ce que l’Eglise change, qu’elle écoute, qu’elle ne protège plus les prêtres. Le prêtre qui a abusé de moi avait déjà changé je ne sais combien de fois de paroisse avant que je ne porte plainte contre lui. C’est grâce à ma démarche qu’il a été mis dans un EMS pour ses vingt dernières années."

Aider les autres victimes

A travers sa prise de parole au grand jour, Catherine Chevron-Tiberghien souhaite aussi aider les victimes. "Je veux que les victimes parlent, parce qu’en parlant, elles ne sont plus victimes, mais survivantes. Au lieu d’être spectateur, on est acteur. Au lieu d’être passager, on est pilote. Quand on prend en charge sa vie, on arrive à ne plus ressentir tous ces stigmates. Oui, je veux que les victimes deviennent des survivantes, comme moi."

Catherine Chevron-Tiberghien est en effet une survivante. Enfant puis adolescente, elle a fugué, elle s’est scarifiée, elle a tenté de se suicider. Jusqu’à l’âge de 35 ans, elle a gardé pour elle les pénétrations digitales et les fellations dans l’appartement de l’abbé.

Lettre d’excuses

À 35 ans, en 1998, elle a alors porté plainte auprès de l’Eglise contre son abuseur. Après une procédure bâclée, ce dernier a été innocenté par le Tribunal ecclésiastique.

Catherine Chevron-Tiberghien a dû attendre jusqu’en 2004, soit six longues années, pour que Monseigneur Genoud, alors évêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, lui signe une lettre d’excuses, reconnaissant les fautes formelles lors du procès canonique, et lui verse un dédommagement, notamment pour ses frais d’avocat.

Aujourd’hui, en témoignant pour la première fois à visage découvert, Catherine Chevron-Tiberghien se sent "libre", c’est le mot qu’elle emploie. "Je suis complètement sortie du bois. J’avais 7 ans, j’en ai 60. De dire ouvertement, publiquement, avec mon visage: 'Oui, j’ai été abusée sexuellement', c’est un grand pas pour moi. Et j’aimerais que les autres victimes aient la même force de sortir du bois et d’être libres".

Fabiano Citroni

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