Le gel du financement de onze ONG israéliennes et palestiniennes est vivement contesté
Les milieux de l’aide humanitaire et de la défense des droits de l’homme impliqués au Proche-Orient sont très remontés contre la Suisse, depuis l’annonce, mercredi 25 octobre, de la suspension du soutien financier à 11 ONG israéliennes et palestiniennes. Il s’agit d’organisations partenaires de longue date de la coopération suisse, principalement dans le domaine des droits humains – cinq israéliennes et six palestiniennes.
Au départ, le DFAE a indiqué vouloir simplement vérifier si, dans le nouveau contexte de crise, son code de conduite et surtout la clause anti-discrimination continuent d’être respectés. La task-force Proche-Orient du Conseil fédéral a également été chargée de vérifier si l’utilisation de l’argent versé par la Confédération, - 2, 3 millions de francs au total pour cette année – ne sert pas à de la propagande ou aux combats.
Réclamation écrite
Cette manière préventive d’agir sur la base de soupçons non précisés et la publication de la liste des onze ONG sur le site du DFAE est dénoncée par ces petites organisations et leurs relais en Suisse. Huit des 11 ONG ont déposé une réclamation par écrit auprès du bureau suisse de la coopération à Ramallah. Selon les informations de la RTS, les signataires demandent à Berne de revenir sur cette suspension qui serait non-conforme aux contrats en vigueur.
Ces huit ONG rappellent avoir subi avec succès un audit externe daté du mois d’août dernier. Commandé par la Confédération, cet audit, dont la RTS a obtenu copie, recommande effectivement la poursuite des mandats: "Ce sont de bonnes organisations qui font un excellent travail". Une des ONG concernée, Physicians for Human Rights Israel (PHRI), a également écrit une lettre ouverte au conseiller fédéral en charge des Affaires étrangères Ignazio Cassis par l’entremise de son soutien en Suisse, l’association Medico International Suisse. La lettre indique que "le professionnalisme et la fiabilité des PHRI ne sont pas remis en question par les autorités israéliennes, malgré leur critique ouverte d'Israël en tant que puissance occupante". Avec leurs célèbres cliniques mobiles, ils ont aidé à soigner les survivants des attaques du Hamas le 7 octobre dernier. De quoi renforcer un sentiment d’incompréhension et d’injustice face à la décision du DFAE (lire l’interview de la directrice ressource et développement de PHRI ci-dessous).
Risques en termes de réputation et de sécurité
Pour finir de mettre la pression, 14 ONG basées en Suisse et réunies au sein du Forum pour les droits humains en Israël et en Palestine ont publié une prise de position dénonçant les conséquences de la décision du DFAE : "Elle peut nuire à la réputation de ces organisations de défense des droits humains expérimentées et reconnues, et entraîner des risques supplémentaires pour leurs employées. La suspension des financements annoncée par la Suisse risque en sus d’envoyer un signal négatif aux autres organisations et donateurs".
Selon les informations de la RTS, certaines ONG auraient d’ores et déjà consulté des avocats. De son côté, le DFAE, par la voix de son responsable de la communication Nicolas Bideau, tient à préciser que "des indices sont apparus au sujet des 11 ONG". Il ne donne pas davantage de précisions sur ces soupçons de dérapages dans la communication des ONG concernées, mais souligne qu’"il n’existe à ce stade pas de preuves formelles, les résultats des investigations seront communiqués durant ce mois".
Le DFAE promet donc une enquête rapide pour lever les soupçons. A voir si cette manière préventive de procéder suffit à faire retomber les fortes tensions avec les partenaires de la coopération suisse sur le terrain plus miné que jamais de la crise au Proche-Orient.
>> Notre suivi de l'actualité du conflit : "Des crimes de guerre commis contre les journalistes" par Israël, selon RSF
Ludovic Rocchi, Pôle enquête, RTS
Collaboration : Coraline Pauchard
Un financement important et des dégâts d'image
Lee Caspi, directrice ressource et développement de l'organisation Physicians for Human Rights Israel (PHRI), active dans lutte pour les droits humains et le droit à la santé en Israël et dans les territoires palestiniens, indique dans Forum que les reproches sont "flous" et "n'ont été soutenus par aucune accusation spécifique". "Ils ne nous ont toujours pas dit de quoi les organisations sont soupçonnées".
Concrètement, "la contribution suisse représente 7% de notre budget annuel, donc si le financement n'est pas restitué, nous aurons un gros trou budgétaire", poursuit la responsable.
Lee Caspi s'inquiète aussi des dégâts potentiels en termes de réputation, "car notre nom apparaît sur le site du DFAE comme organisation faisant l'objet d'un enquête. Cela pourrait avoir un impact négatif, même si les fonds suisses sont restitués". Et "nous sommes très inquiets que d'autres pays puissent suivre cette tendance", conclut la directrice.