Après le pain et les pâtes, les pommes de terre sont l'aliment le plus consommé par les Suissesses et les Suisses: un total de 45 kilos de patates sont engloutis par année et par personne, selon la faîtière de la branche Swisspatat.
Et faire des pousser des milliers de patates à travers le pays exige deux éléments principaux: du terrain et une bonne météo. Il faut tout d'abord des surfaces énormes et de nombreux producteurs. Cette année, ce sont près de 4000 producteurs suisses qui ont cultivé le tubercule sur plus de 10'000 hectares, soit l'équivalent de 16'000 terrains de football.
Le deuxième garant d'une production de qualité et en quantité suffisante est un climat favorable. Or, cette année, à cause de Dame Météo, la délicieuse purée de grand-mère a laissé la place à une soupe à la grimace.
Un rendement en baisse de 30%
Swisspatat parle d'une année 2023 "extrêmement difficile pour les cultures de pommes de terre" et "exigeante pour les producteurs". Une constatation confirmée par Félix Luder, agriculteur à Curtilles (VD) interrogé dans le 19h30: "C'est de nouveau une année un peu spéciale au vu des conditions climatiques qui ont prévalu."
Tout d'abord, les plantons avaient déjà eu chaud l’année dernière. Ils ont ensuite été mis en terre tardivement à cause d’un printemps humide. Enfin, l'été a été trop sec pour que les tubercules poussent bien. "Les périodes de juin-juillet n'ont été que partiellement arrosées et les pommes de terre ont eu soif", ajoute Félix Luder.
Les périodes de juin-juillet n'ont été que partiellement arrosées et cette pomme de terre, ma foi, elle a eu soif
Pour ces raisons, la récolte sera moins abondante que d'habitude et les pommes de terre seront plus petites, mais les tubercules seront de bonne qualité, précise la faîtière. Félix Luder évoque lui une diminution du rendement d'à peu près 30%. Ruedi Fischer, président de l'Union suisse des producteurs de pommes de terre (USPPT), a d'ailleurs confirmée ce chiffre, précisant que les rendements sont encore difficiles à estimer et que les chiffres définitifs seront connus seulement début décembre
Il va ainsi manquer entre 80'000 et 100'000 tonnes de patates suisses pour répondre à la demande, notamment en pommes de terre pour concevoir des produits transformés. Pendant une année normale, environ 85% des pommes de terre consommées en Suisse proviennent de Suisse, mais ce chiffre sera inférieur cette année et il faudra donc importer des milliers de tonnes de tubercules.
Un recours à l'importation est inévitable
Bien connu dans tout le pays, le fabricant de chips Zweifel reconnaît qu'il pourrait être contraint d’importer un quart de sa matière première, lui qui met d'ordinaire en avant les producteurs suisses.
Membre de la direction de la société, Paul Beck dit éviter cette solution "par tous les moyens" et ne pas le faire pour des raisons financières. Et de préciser: "Nous n'achetons à l'étranger qu'en cas de problèmes de récolte et nous ne pouvons donc pas compter sur des prix plus bas qu'en Suisse."
Nous n'achetons à l'étranger qu'en cas de problèmes de récolte (...) Nous ne le faisons pas pour des raisons financières. Au contraire, nous essayons par tous les moyens de l'éviter
Christian Jaton, associé dans l'entreprise Jaton-Gavillet, qui conditionne des pommes de terre, avoue aussi que le manque se fera sentir, alors que sept tonnes de patates lavées, coupées et emballées sortent chaque jour de son usine vaudoise. "On garantit à nos clients d’être livrés toute l’année. Même si au mois de mai, il en manque énormément, on se débrouille pour les fournir".
Pour cette année, Christian Jaton convient aussi qu'il devra recourir à l'importation, même si la tendance actuelle des clients est de demander des produits de la région ou des produits suisses.
Un aliment sensible aux aléas climatiques
Le problème n'est pas nouveau, mais prend de l'ampleur depuis quelques années. Selon les derniers chiffres disponibles, basés sur le rapport agricole 2022, la récolte de pommes de terre avait atteint 343'000 tonnes en 2021, un rendement en baisse de 21% par rapport à la moyenne des années 2016 à 2020 et de 30% par rapport à l’année 2020. Et cette tendance devrait se poursuivre cette année et certainement les années suivantes.
Il faut dire que le tubercule est l'un des aliments qui peinent le plus à faire face aux changements du climat. C'est pourquoi des scientifiques tentent aujourd'hui de trouver des variétés plus résistantes face aux maladies et qui tolèrent mieux les événements climatiques extrêmes, comme les pluies abondantes ou la sécheresse.
Dans ce contexte, le président de l'USPPT déplore les restrictions imposées par la Confédération en matière de pesticides. Les producteurs disposent de moins en moins de produits phytosanitaires, alors que la résistance aux herbicides augmente. Il n'y a par exemple pas de produit autorisé actuellement contre le ver fil de fer.
A la recherche d'une "super-patate"
Une équipe internationale cherche ainsi à développer une "super-patate" plus résistante mais aussi avec de meilleures qualités nutritionnelles. Elle a publié ses premiers résultats l'an dernier dans le journal de l'Académie des Sciences (PNAS), mais le travail est encore long.
Concrètement, les chercheurs s'intéressent au génome de la patate en vue d'isoler les gènes d'intérêt de cette plante. Ils ont pour ce faire analysé quelque 300 variétés de pommes de terre et d'espèces apparentées pour en tirer le meilleur de chacune d'elles. Des croisements sont ensuite effectués pour arriver à cette fameuse "super-patate".
Texte web: Frédéric Boillat avec ats
Reportage TV: Léandre Duggan
Une évolution indolore pour le consommateur
Les consommateurs n'ont toutefois pas à craindre une pénurie de pommes de terre sur les étalages de magasins ces prochains mois. Les stocks sont analysés chaque mois et les quantités manquantes sont importées.
Comme la situation est la même à l'étranger, les prix d'achat ont en partie déjà doublé, mais à un niveau bas. Selon Ruedi Fischer, rien ou presque ne devrait changer pour les consommateurs. La concurrence dans le commerce de détail est trop importante pour cela.
Arrivée en Europe au XVIe siècle
Pour mémoire, la pomme de terre est cultivée depuis plus de 6000 ans par les Incas en Amérique du Sud et elle pousse jusqu’à une altitude de 4500 mètres au Pérou. Les Espagnols ont appris son existence au milieu du XVI siècle dans les Andes et l'ont ramenée avec eux jusqu’en Europe.
Il en existe désormais des dizaines de sortes issues de divers croisements. Les patates peuvent varier en taille, en couleur, en forme et en goût, avec une chair soit farineuse, soit ferme qui permet de varier fortement les types de préparation.