Le loup à la reconquête du pays
Plus de 120 ans après sa disparition, le loup fait son retour en Suisse au milieu des années 1990. Il recolonise naturellement le pays, en provenance d'Italie. Pendant plus de quinze ans, seuls quelques individus isolés ou des couples sont observés en Suisse. Il faut attendre 2012 pour voir la première meute se former dans le massif du Calanda, entre les Grisons et Saint-Gall. Depuis lors, d'autres meutes se sont installées dans les cantons des Grisons, de Glaris, du Tessin, du Valais et de Vaud.
A la fin 2022, on comptabilisait 18 meutes suisses et huit meutes transfrontalières, pour une population totale de 240 loups, selon le décompte annuel de la fondation KORA, spécialisée dans l'écologie des carnivores et la gestion de la faune sauvage en Suisse.
La progression s'est accélérée ces dernières années. En 2019, une première meute s'est ainsi établie dans le Jura vaudois et deux ou trois autres sont venues s'ajouter. Des preuves de la présence du loup ont d'ores et déjà constatées dans au moins vingt cantons, y compris Neuchâtel, Fribourg, Berne et le Jura en Suisse romande.
Les dernières données de la fondation KORA (cf. carte ci-dessous) font état de 32 meutes (dont dix transfrontalières) et de six paires actives en Suisse. Ces chiffres ne comprennent pas les individus isolés qui ont été aperçus dans dans tout le massif alpin et le long de la chaîne du Jura. Certains individus se sont même parfois aventurés jusqu'en plaine.
Animaux tués et mesures de protection
Logiquement, le nombre d'animaux de rente tués est lui aussi en augmentation. L'an dernier, près de 1500 bêtes ont été la proie du loup, contre un peu moins d'un millier en 2020 et 2021, selon l'Office fédéral de l'environnement (OFEV). Entre 2009 et 2019, le prédateur faisait quelques centaines de victimes chaque année. Les éleveurs sont indemnisés pour chaque animal tué. Depuis la fin des années 1990, plus de trois millions de francs ont été versés, dont quelques 700'000 francs pour la seule année 2022, indique la Confédération.
Dans un communiqué à la mi-octobre, le Groupe Loup Suisse relève toutefois que les dommages aux troupeaux ont très nettement diminué cette année, et ce grâce aux mesures de protection telles que l'utilisation de chiens de troupeaux et la pose de clôtures. "Cette année encore, 80% des dommages survenus en Valais concernent des troupeaux non protégés", affirme-t-il. Au début des années 2000, un loup tuait en moyenne 33 moutons par an, contre cinq aujourd'hui, ajoute cette association qui promeut dans ses statuts la cohabitation pacifique avec les grands prédateurs indigènes.
Un débat qui déchaîne les passions
Selon la fondation KORA, au moins 50% du territoire national - en particulier les Alpes et la chaîne du Jura - constitue un habitat approprié pour le loup. A ce titre, d'un point de vue purement biologique, entre 50 et 100 meutes de loups pourraient vivre dans le pays. Par ailleurs, d'après une étude scientifique internationale menée en 2016, la Suisse devrait accueillir au moins 17 meutes pour permettre d'assurer la viabilité à long terme de l'espèce dans les Alpes.
Le débat sur le loup en Suisse reste pourtant extrêmement vif. Les écologistes estiment que l'animal devrait pouvoir prospérer dans notre pays. Les grands prédateurs sont le moyen le plus efficace de réguler le nombre de cerfs et autres herbivores qui font d'énormes dégâts aux forêts, rappellent-ils. Face à eux, les éleveurs mettent en avant les attaques contre les troupeaux et les conséquences économiques qu'elles engendrent, ainsi que le bien-être des personnes susceptibles d'être en contact avec le canidé.
La régulation préventive plutôt que réactive
Afin de permettre une coexistence durable entre les humains et le prédateur, le Conseil fédéral a décidé il y a quelques jours de mettre en oeuvre la première partie de la modification de la loi sur la chasse, qui assouplit les conditions de tir. "Les cantons peuvent désormais abattre des loups afin de prévenir les dégâts, et non plus uniquement une fois que ceux-ci se sont produits", explique le gouvernement. Cette révolution dans la stratégie de régulation du loup entre en vigueur dès le 1er décembre.
Le loup reste une espèce protégée, souligne le Conseil fédéral. "Les meutes qui ne posent pas de problème ne peuvent pas être tirées", précise le chef du DETEC Albert Rösti. Les cantons ne pourront pas exterminer des meutes entières sans justification. Le gouvernement a par ailleurs divisé le pays en cinq régions, pour lesquelles un nombre minimum de deux ou trois meutes a été défini. Au total, la Suisse devra conserver au moins 12 meutes. Cela représente une réduction potentielle de quelque 70% du nombre de meutes par rapport à la situation actuelle.
Les Grisons n'ont pas perdu de temps pour annoncer leurs intentions. Ils ont demandé mardi à la Confédération l'autorisation d'éliminer entièrement quatre des douze meutes installées dans le canton. Les autorités grisonnes souhaitent aussi tuer jusqu'à deux tiers des petits de deux meutes présentes près de Davos et dans le Val Poschiavo. Au total, elles visent jusqu'à 27 animaux, en plus des 17 individus déjà sous le coup d'une autorisation de mise à mort. Le canton compte aujourd'hui quelque 130 loups sur son territoire.
Didier Kottelat