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Franchises élevées: ces assurés qui renoncent à se faire soigner faute de moyens

Je n’ai plus les moyens de me soigner. [RTS]
Je n’ai plus les moyens de me soigner / Temps présent / 23 min. / le 23 novembre 2023
Pour économiser face à la hausse des primes d'assurance maladie, beaucoup choisissent la franchise la plus élevée. Mais en cas de maladie, à eux de payer jusqu’à 2500 francs de frais médicaux, plus la quote-part. Faute de moyens, près d'un quart des assurés ne vont donc pas chez le médecin. Temps présent a enquêté sur ce phénomène inquiétant, plus actuel que jamais.

Chaque automne, en Suisse, les assurées et assurés redoutent le pire: une nouvelle augmentation des primes d’assurances maladie. En 2024, elle sera en moyenne de 8,7% pour tout le pays. Pour payer des primes moins élevées, 38% des assurés optent pour une franchise de 2500 francs, avec une économie maximum de 1540 francs par année.

A l’origine, le dispositif des franchises partait d’une bonne idée: permettre de faire des économies aux gens en bonne santé. Mais avec la constante augmentation des primes, le système a dérapé et beaucoup d’assurés choisissent la franchise la plus élevée uniquement pour arriver à boucler leurs fins de mois.

Et lorsqu’ils sont malades, ils renoncent à aller consulter un médecin, car c’est alors à eux de payer, de leur poche, leurs frais médicaux jusqu’à 2500 francs. A cela s’ajoute la quote-part, soit 10% sur chaque facture qui dépasse 2500 francs, jusqu’à un maximum de 700 francs. Le total des frais peut donc atteindre 3200 francs en une année.

S’opérer tout seul avec un cutter

Temps présent s’est penché sur ce phénomène et a donné la parole à des personnes qui vivent dans les cantons romands qui vont subir les hausses de primes les plus élevées l’an prochain: Vaud (+9,9%), Neuchâtel (+9,8%), Fribourg (+9,6%) et Genève (+9,1%). Morgane, Laetitia, Yves, Cédric et Cynthia ont choisi la franchise la plus élevée pour payer moins de primes. Ils renoncent ou ont renoncé à des soins médicaux, mettant leur santé en danger.

Morgane est mère de famille et travaille à 60%. La Vaudoise et son conjoint font partie de la classe moyenne, et pourtant, ils ne vont chez le médecin qu’en dernier recours. Après ses grossesses, des problèmes d’insomnie et une cardiomégalie (hypertrophie du cœur) découverte récemment, la jeune femme est parfois "au fond du trou". Elle sait bien qu’elle devrait être suivie psychologiquement, mais elle y renonce, faute de moyens.

Aller chez le médecin, ça veut dire des pâtes au thon tout le mois

Yves

Yves, lui, a dû arrêter de travailler durant une année, suite à un problème de vessie diagnostiqué tardivement. Le Genevois est alors un peu "ric-rac" financièrement. Il sent bien que quelque chose le dérange de plus en plus, mais aller chez le médecin, "ça veut dire des pâtes au thon tout le mois". Il finira par ne plus pouvoir uriner, son petit quelque chose finira en "vessie fendue" et son opération coûtera 30'000 francs.

Laetitia, elle, s’est endettée suite à un gros problème de santé survenu lorsqu’elle avait 23 ans. Elle a alors une franchise de 2500 francs et le système du tiers-garant. Elle doit avancer l’argent de ses frais médicaux avant d’être remboursée, avec du retard, affirme-t-elle. Avec un petit salaire et des problèmes de santé, elle plonge rapidement. Aujourd’hui, elle a trouvé une solution pour réduire ses frais médicaux: elle a suivi des cours pour analyser elle-même sa coagulation sanguine, avec une petite machine à domicile.

Quant à Cédric, il a décidé de s’opérer tout seul avec un cutter, pour éviter d’aller chez le médecin. Sa compagne Cynthia, elle, ne va plus chez le gynécologue et rêverait de faire soigner son dos qui la fait beaucoup souffrir.

Peu d'études sur le renoncement aux soins

En Suisse, combien de personnes sont dans le cas de Morgane, Cynthia et tous les autres? A ce jour, peu d’études se sont penchées sur la question du renoncement aux soins de la population suisse, constate l’Office de la santé publique (OFSP). Pour combler cette lacune, l’OFSP a chargé les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) d’utiliser les données de plusieurs enquêtes régionales, nationales et internationales.

En raison des différences de méthodologie de ces enquêtes, le rapport de l’OFSP, publié l’an dernier, donne des résultats d’une grande variabilité. Le pourcentage de renoncement aux soins varie de 2,1% à 20,2%. Le premier chiffre correspond au pourcentage de gens qui se privent de soins nécessaires par impossibilité de les payer. Le deuxième chiffre, lui, reflète le pourcentage de personnes qui renoncent aux soins par peur des factures et des conséquences financières.

Ce chiffre de 20,2% est basé sur les données 2016 de l’Enquête internationale sur les politiques de santé, (IHP- International Health Policy Survey), analysées par l’Observatoire suisse de la santé (Obsan). L’actualisation de l’enquête effectuée en 2020 indique que le pourcentage de renoncement aux soins, en Suisse, s’élève désormais à 23,3%, soit près d’un assuré sur 4.

Des chiffres en augmentation

Parmi les autres études prises en compte par l’OFSP, il y a celle du Bus Santé. Chaque année, cet observatoire de santé publique rattaché aux HUG questionne et ausculte 1000 Genevois, tous milieux socio-économiques confondus, pour évaluer leurs risques de développer certaines maladies, comme le cancer ou le diabète.

Le professeur Idris Guessous qui chapeaute le Bus Santé, explique que c’est dans les années 2006-2007 qu’ont été intégrées les premières questions sur le renoncement aux soins. Les résultats de la dernière étude datent de 2019: tous milieux socio-économiques confondus, 15% des personnes interrogées ont renoncé à un ou plusieurs soins, pour des raisons économiques, dans les douze mois précédents. Il détaille: "Pour les assurés qui gagnent plus de 13’000 francs par mois, la proportion est de 3%. Pour ceux qui ont un revenu moyen dans leur ménage de moins de 3000 francs, le renoncement aux soins atteint 30%."

Quelles que soient les études et la subtilité de leurs résultats, les chiffres sur le renoncement aux soins ont tous un point commun: ils sont en augmentation, malgré une assurance maladie universelle et un système sanitaire performant.

Sabine Pirolt

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Les délais pour changer d’assurance maladie

Il est possible de changer d’assurance maladie et de baisser sa franchise jusqu’au 30 novembre 2023.

Ceux qui souhaitent augmenter leur franchise ont jusqu’au dernier jour ouvré du mois de décembre pour le faire.

En cas de dettes envers son assurance maladie – en 2022, c’était le cas de 355’049 assurés en Suisse – il n’est pas possible de changer d’assureur. L’assuré endetté peut, par contre, baisser ou augmenter sa franchise.

Un changement d’assureur maladie est également possible en cours d’année, mais uniquement pour les assurés qui ont opté pour la franchise standard (300 francs pour les adultes/ 0 franc pour les enfants). Pour pouvoir changer d’assureur maladie en juin, le délai de résiliation est le dernier jour ouvré du mois de mars.