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Qualifier le Hamas d'organisation terroriste aurait peu d'effet, selon Laurent Goetschel

Faut-il inscrire le Hamas sur la liste des organisations terroristes? Interview de Laurent Goetschel
Faut-il inscrire le Hamas sur la liste des organisations terroristes? Interview de Laurent Goetschel / Forum / 5 min. / le 16 novembre 2023
Depuis un mois, le Conseil fédéral étudie les options juridiques pour interdire le Hamas en le qualifiant d'organisation illégale. Selon le Tages-Anzeiger, le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis chercherait même à aller plus vite, au moyen d'une loi urgente. Une méthode critiquée par certains experts comme Laurent Goetschel, qui s'interroge sur l'efficacité d'une telle mesure.

"C'est le droit du ministre des Affaires étrangères de suggérer une telle méthode. Mon interprétation est que selon lui, il y a urgence à agir et je suis tout à fait d'accord sur le principe. Mais je ne suis pas sûr que l'instrument envisagé, à savoir la déclaration du Hamas comme une organisation terroriste, sera l'instrument le plus efficace pour atteindre les objectifs escomptés", résume Laurent Goetschel, directeur de l'ONG Swisspeace, dans l'émission Forum.

Pour ce spécialiste, également professeur en science politique à l'Université de Bâle, la Suisse "n'a pas la tradition" d'avoir des listes d'organisations terroristes, ce qui n'équivaut pas à un quelconque soutien à ce type d'organisation.

"Normalement, le Conseil fédéral est plutôt d'avis que pour promouvoir, le cas échéant, de bons offices, il doit avoir la possibilité de parler aux différents acteurs impliqués", ajoute-t-il.

Pas de changement sur le terrain

Mais cela voudrait-il dire qu'il est possible de dialoguer avec le Hamas? Pas actuellement, répond Laurent Goetschel. Mais le déclarer organisation terroriste n'aurait pas d'effet, estime-t-il.

"Ce n'est pas en déclarant l'organisation comme terroriste qu'on va changer grand-chose à la situation sur le terrain. Je pense que ce serait plutôt une réponse plus ou moins instinctive à des demandes provenant de la sphère politique en Suisse, mais qui ne serait pas forcément la meilleure réponse à une contribution constructive de la Suisse par rapport au conflit israélo-palestinien", développe le professeur.

D'après lui, le risque de s'isoler de l'Union européenne qui considère le Hamas comme terroriste est également nul, car il n'existe pas vraiment de politique unifiée à ce sujet au sein de l'UE.

"Tout d'abord, la Suisse n'a dans le passé jamais été timide et ne s'est jamais gênée de procéder de manière différente. Maintenant, la question est de savoir à quoi cela mène? L'Union européenne a une liste des organisations terroristes, mais elle continue à traiter ces organisations de manière différente d'un Etat à l'autre. Il n'y a pas non plus de sanctions universelles qui soient appliquées par les membres de l'UE", rappelle-t-il.

La Suisse pourrait d'ailleurs, selon lui, se joindre à des sanctions, sans avoir à lister le Hamas comme organisation terroriste.

Une définition floue

Berne a pourtant décidé d'interdire des organisations jugées terroristes, comme Al-Qaïda ou le groupe Etat islamique. Pour Laurent Goetschel, la donne était différente.

"Ces deux organisations ont été interdites par décision du Conseil de sécurité des Nations unies et la Suisse reprend ces décisions. Aucune autre organisation, notamment le Hamas, n'a pour l'instant été interdite par le Conseil de Sécurité", détaille-t-il.

Le directeur de l'ONG Swisspeace reconnaît toutefois que les définitions sont floues, raison pour laquelle il prône la prudence. "Une organisation peut commettre des actes qu'on va qualifier de terroristes et qui visent donc à terroriser une population concernée, en tuant un grand nombre de civils, avec un effet psychologique désastreux (...) Mais en fin de compte, ce n'est pas très clair. Il n'y a pas de définition légale universellement acceptée de ce qu'est une organisation terroriste", explique-t-il.

Pour lui, interdire une organisation de la sorte, c'est la déclarer "paria", la "mettre dans un coin" et la "traiter de manière particulière", avec le risque d'aboutir à des dérives comme Guantanamo après le 11-Septembre. "On voit que commencer à traiter des acteurs de manières très spéciales peut donc aussi mener à un désastre, conclut-il.

Propos recueillis par Cynthia Gani

Adapation web: ther

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