Scandale Pegasus: une plainte pénale déposée en Suisse par une indépendantiste catalane
Ce sont de simples SMS qui ont permis d’infiltrer le téléphone de la dirigeante catalane en exil et de prendre à distance le contrôle de son micro et de sa caméra pour l’espionner. Le premier message émanait en apparence de l’association Swisspeace et le second du Geneva Centre for Security Policy (GCSP).
En réalité, ces messages étaient des pièges, créés de toute pièce par la société israélienne NSO Group, pour inciter Marta Rovira à cliquer sur des liens infectés et permettre la récupération de ses données.
Au total, cinq infections ont été détectées par l’ONG Citizen Lab chargée d’analyser les données du portable de la séparatiste catalane. "C’est une violation de mes droits politiques mais aussi de ma vie personnelle", déclare Marta Rovira, la secrétaire générale du parti de la gauche républicaine ERC, à l’émission Temps Présent. "Ce n’est pas seulement de l’espionnage politique. J’ai beaucoup de photos avec ma fille, des conversations avec ma mère, des rapports médicaux", ajoute-t-elle.
Pour rappel, le logiciel israélien Pegasus de la société NSO aurait permis d’espionner des dizaines de milliers de personnes à travers le monde, des journalistes, des militants et même des chefs d’Etat.
Une violation de la souveraineté nationale
Pour Jean-Marc Carnicé, l’avocat genevois de Marta Rovira, cet espionnage est "grave et inacceptable" d’autant qu’il s’est déroulé sur le territoire suisse. "C'est une violation de la souveraineté nationale", déclare-t-il.
Pour comprendre qui a commandité cet acte d’espionnage, Marta Rovira a déposé une plainte pénale dirigée contre inconnu auprès du Ministère public de la Confédération (MPC) pour agissements sans droit pour un Etat étranger en Suisse.
"Un juge peut ordonner ce genre de collecte de données ou de perquisitions, mais aucun juge suisse n'a ordonné cela et à l'évidence un juge étranger ne pourrait pas ordonner ce type de recherche sur le territoire suisse sans passer par l'intermédiaire de l’Office fédéral de la justice", explique l’avocat Jean-Marc Carnicé.
L'instruction judiciaire du MPC confirmée
Le MPC a confirmé à la RTS l’ouverture d’une instruction judiciaire dans cette affaire d’espionnage mais n’a souhaité faire aucun commentaire. Selon une ordonnance de justice consultée par l’émission Temps Présent, une enquête a bien été réalisée mais la procédure a été suspendue début octobre.
Dans cette affaire d’espionnage, les soupçons pesant sur Madrid sont clairement énoncés par l’ordonnance: "Le commanditaire paraît être l’Etat espagnol sans toutefois pouvoir concrètement déterminer le ou les auteurs de cette infection ou des tentatives qui ont suivi."
Pour sa part, le Service de renseignement de la Confédération confirme que la politicienne catalane exilée en Suisse n’est pas considérée comme une cible et ne fait l’objet d’aucune surveillance de la part des autorités suisses.
En Espagne, le scandale Pegasus a provoqué la destitution de la cheffe des services de renseignements espagnols en mai 2022. Plus de soixante indépendantistes catalans ont été espionnés par le logiciel Pegasus mais la plupart des procédures judiciaires sont au point mort.
Contactée, l’ambassade d’Espagne à Berne n’a souhaité faire aucun commentaire sur le cas de Marta Rovira. Invoquant des raisons de sécurité, le ministère de la Défense espagnol a également refusé de répondre aux questions de la RTS.
Cécile Tran-Tien
Marta Rovira, exilée en Suisse depuis 2018
Secrétaire générale du parti Esquerra Republicana de Catalogne (ERC), Marta Rovira était députée au Parlement de Catalogne. En octobre 2017, elle faisait partie du noyau dur qui a organisé le référendum sur l’indépendance de la Catalogne.
Accusée depuis ce jour de rébellion, sédition et détournement de fonds, la séparatiste catalane risquait 30 ans de prison en Espagne. Le 22 mars 2018, elle a refusé de se présenter devant la Cour suprême espagnole et a fui dans la nuit vers la Suisse pour y trouver refuge. Aujourd’hui, la dirigeante en exil se bat depuis Genève pour obtenir l’amnistie.
Manifestations contre le projet de loi d’amnistie
Après quatre mois d’impasse politique, le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez a été reconduit jeudi dernier en Espagne, grâce au soutien des partis régionalistes. En échange de leurs voix, il a accepté plusieurs concessions, dont l’adoption prochaine d’une loi d’amnistie pour les dirigeants catalans poursuivis pour tentative de sécession.
Fortement controversé, ce projet a mis le feu aux poudres. Des centaines de milliers de personnes brandissant le drapeau espagnol ont défilé le 18 novembre dans toute l’Espagne aux cris de "Sanchez, traitre !" pour dénoncer cette loi.
Interrogée par la RTS, Marta Rovira a déploré la présence de symboles fascistes lors de ces manifestations: "La droite espagnole a toujours manifesté contre les principales avancées démocratiques que ce soit pour le divorce, l’avortement ou le mariage homosexuel ."
Pour la dirigeante catalane en exil en Suisse, l’amnistie est un "instrument indispensable" pour mettre fin au conflit politique et rétablir les "droits fondamentaux qui n’auraient jamais dû être criminalisés".