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Lisa Mazzone: "J'étais sur des rails, j'espère maintenant avoir l'espace pour faire un bilan"

#Helvetica: Lisa Mazzone, ancienne Conseillère d'Etat GE
#Helvetica: Lisa Mazzone / #Helvetica / 20 min. / le 25 novembre 2023
Malgré sa non réélection, le nom de Lisa Mazzone est partout depuis la fin des élections fédérales. Sans dévoiler de quoi sera fait son futur, celle qui est désormais, à 35 ans, une ex-conseillère aux Etats a confié à la RTS n'avoir rien perdu de son amour de la politique. Sa vision pour l'avenir est "toujours là, voire encore plus qu'avant".

"Je vais comme-ci comme-ça, ça dépend des jours". Invitée sur le plateau de l'émission Helvetica de la RTS, Lisa Mazzone ne cache pas que quitter la Berne fédérale constitue une déception dont la digestion prendra du temps. En accédant au Conseil des Etats en 2019, elle dit avoir rejoint un espace à la hauteur de ses attentes en matière de fonctionnement politique.

"Je pense que j'avais trouvé un endroit où j'avais certaines compétences que j'ai pu utiliser", confie l'écologiste qui, après deux ans au Parlement genevois puis quatre à Berne au Conseil national, avait poursuivi son ascension express jusqu'à la Chambre haute du Parlement, à 31 ans seulement. "J'ai aimé faire de la politique, porter des valeurs, porter un projet au sein des instances politiques", liste la Genevoise, qui se dit fière de son action, notamment sur la redéfinition du viol, le développement des énergies renouvelables ou la protection de la biodiversité.

J'avais, aux Etats, trouvé un endroit où j'avais certaines compétences que j'ai pu utiliser

Lisa Mazzone

"Ce qui est agréable aux Etats, c'est cette forme de distance. Vous avez parfois des débats d'une qualité rare en politique. Il y a une complexité", décrit-elle. Une complexité que Lisa Mazzone dit apprécier et regrette ne pas toujours retrouver dans l'espace public ou dans les médias, prompts à tomber "dans une forme de simplification".

Un Conseil des Etats trop vieux et masculin?

En déplorant l'élection de deux hommes de 64 ans pour représenter Genève - à qui elle a pu souhaiter, sous le coup de la défaite en direct du plateau de la chaîne Léman bleu, de "savoir à un moment tirer leur révérence" - Lisa Mazzone a suscité de nombreuses réactions négatives. Elle reconnaît pourtant qu'au-delà des stéréotypes, des catégorisations rapides qu'un camp peut faire sur les membres d'un autre camp, elle a fait sous la Coupole des rencontres qui l'ont "changée".

"Ces 'vieux mâles blancs', il y en a beaucoup avec qui j'ai tissé des relations! Ce sont des personnes - pas toutes évidemment - que j'apprécie. Heureusement que chaque personne, moi comprise, est plus complexe qu'une image! Ce qui est assez génial en politique, c'est que tout à coup, vous avez une rencontre avec une personne, et qu'à partir de cette rencontre, vous arrivez à créer un projet", raconte-t-elle, contente d'avoir pu trouver, au Conseil des Etats, "un terrain vraiment très propice pour travailler ensemble et développer des compromis".

"Il y a aussi votre vécu" qui influence l'action politique

Sur le fond, Lisa Mazzone ne renie pas sa critique pour autant, quitte à se faire accuser de jeunisme et de pousser à la confrontation des genres. "Ce que j'ai dit, ce sont des faits! Que ça déclenche une avalanche de protestations, peut-être que ça en dit long sur cette situation", se défend-elle. "Deux hommes de 64 ans, c'est une représentation qui change par rapport à ce que Genève a connu, avec une femme à l'un des deux sièges aux Etats depuis près de 30 ans", regrette l'écologiste.

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Et pas question de se satisfaire des 16 femmes élues cette année pour 46 places: "On se dit 'ouah, c'est génial, il y a un tiers de femmes! Mais ça montre que structurellement, on a toujours une sous-représentation, qui a un impact très concret sur les décisions qu'on prend, sur les thèmes à l'agenda, et puis sur les modèles, c'est-à-dire comment on peut incarner le pouvoir [...] avec des images de jeunes femmes". Cette diversité est un "besoin", selon elle, car en plus des convictions chevillées au corps, "il y a aussi votre vécu" qui influence l'action politique.

Plus inquiète pour l'environnement que pour les Vert-e-s

Mais en plaçant la cause des femmes et des minorités en haut de leur agenda, les Vert-e-s ne se seraient-ils pas perdus, comme le pensent bon nombre d'observateurs de la politique suisse? Lisa Mazzone n'est pas de cet avis, notamment parce que les Vert'libéraux, moins engagés sur ces questions, "ont aussi perdu des plumes dans ces élections", relève-t-elle, nuançant au passage la défaite des écologistes.

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"Pour les Verts, les élections fédérales de 2019 étaient incroyables. On a pensé que c'était la nouvelle norme. Mais ça ne l'a jamais été! Cette année, on fait 'juste' notre deuxième meilleur score. On a une représentation très forte au National, trois sièges aux Etats... Je ne dis pas que c'est une victoire, sûrement pas. Mais à l'échelle de l'histoire, le parti va plutôt bien", analyse la Genevoise, qui se dit davantage préoccupée par l'environnement lui-même.

A l'échelle de son histoire, le parti va plutôt bien

Lisa Mazzone

"On a besoin de cette transition énergétique. Dans ma génération, c'est une préoccupation très forte. On se demande comment ça va continuer... Comment va-t-on y arriver, au-delà de l'actuelle mauvaise humeur, de ces réactions épidermiques?", s'interroge-t-elle.

Tout en reconnaissant que pour convaincre, l'écologie doit être "heureuse", ne pas être trop anxiogène ni stigmatiser des comportements individuels, elle estime que la solution passera par un changement "du système de valeurs, de ce qui est valorisé". Par une évolution des réflexions morales, aussi, qui pourraient permettre, à terme, de mieux faire passer des interdictions, comme l'a par exemple été celle de la fumée dans les lieux publics, validée par la population.

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Prendre du recul pour mieux sauter?

Malgré son échec aux Etats, Lisa Mazzone peine à cacher son attachement à l'action politique, qui a toujours été à ses yeux "un moyen de changer ou de participer à un changement, une transition vers une société avec plus d'échanges, plus d'harmonie" avec la nature. "Dans des moments de tension, de crispation, on a encore plus le besoin et la nécessité de s'engager, pour un discours d'échange, d'espoir. Un discours qui laisse une place aux utopies, pour pouvoir créer ensuite, concrètement, dans le quotidien, une réalité qui permette de se projeter", plaide-t-elle.

Emue d'avoir reçu "énormément de messages de gens qui s'identifiaient à moi, ou pour qui je portais des valeurs, ou encore qui me disent de ne pas arrêter la politique", elle perçoit l'engagement politique comme "une sorte d'incarnation d'une vision, une vision d'avenir, d'espoir..." Cette vision-là "est toujours totalement au même endroit, voire encore plus qu'avant", livre-t-elle d'ailleurs sans une pointe d'hésitation.

Dans des moments de tension, de crispation, on a encore plus le besoin et la nécessité de s'engager, pour un discours d'échange, d'espoir

Lisa Mazzone

Après une telle déclaration d'amour à la politique, la question de son futur engagement se pose avec d'autant plus d'acuité pour celle qui, en quelques années, s'est hissée du rang d'enfant prodige des Vert-e-s genevois à une reconnaissance confirmée au niveau national. Depuis ce fameux dimanche du second tour, elle n'a pas confirmé explicitement son retrait définitif de la politique. Au point qu'on ose déjà reparler d'une prochaine co-présidence des Verts, et que bruisse encore, même de très loin, la perspective d'un futur de conseillère fédérale (lire encadré).

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Définir la forme de son futur engagement

"Pour l'instant, je ne dis surtout rien", s'excuse Lisa Mazzone, qui insiste sur sa volonté de retrouver sa respiration, de prendre du recul, du temps pour elle et sa famille. "J'étais sur des rails. J'aimerais avoir l'espace de pouvoir faire un bilan", souffle l'ancienne étudiante en Lettres, confessant au passage une envie de prendre aussi le temps d'écrire.

"Mes valeurs sont toujours les mêmes, mon coeur est toujours au même endroit. La question, c'est comment on s'investit, comment on traduit ces valeurs concrètement, dans quel type d'engagement. Mon engagement continuera, mais sous quelle forme, cela reste à définir".

Propos recueillis par Philippe Revaz
Adaptaton web: Vincent Cherpillod

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Porter l'action des Vert-e-s jusqu'au Conseil fédéral

A l'échelle suisse, l'ascension politique de Lisa Mazzone a été tellement rapide que son nom était souvent prononcé dans l'hypothétique perspective d'un premier siège écologiste au Conseil fédéral, notamment après la vague verte des élections de 2019.

J'en suis maintenant persuadée: être au Conseil fédéral permet d'avoir des leviers qui peuvent être déterminants

Lisa Mazzone

Un futur que la Genevoise botte en touche, rappelant l'absence de siège Vert au gouvernement du pays: "Bien sûr qu'on a envie d'avoir une influence, de pouvoir marquer, de pouvoir répondre aux enjeux climatiques. Mais quand on est dans ce parti, on n'est pas mu par cette ambition-là", fait-elle valoir.

Et pourtant: la place semble enviable à ses yeux, ou du moins précieuse: "J'en suis maintenant persuadée: être au Conseil fédéral permet d'avoir des leviers qui peuvent être déterminants", souligne Lisa Mazzone.

Lancer un Vert dans la course au Conseil fédéral, "une bonne décision"

Pour elle, lancer un candidat dans la course malgré la défaite aux dernières élections est une bonne décision. "C'est important de rappeler que les Verts ont un projet politique qui passe par des responsabilités. On doit le traduire, le transcrire dans une action très concrète: comment on organise la vie d'un pays pour faire cette transition écologique de façon heureuse pour tout le monde", plaide-t-elle.

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"Aujourd'hui, en termes de force démocratique, un quart de la population n'est pas représenté au sein du Conseil fédéral. Ça a un impact sur des décisions importantes, par exemple vis-à-vis de l'Europe, et sur la réponse à l'enjeu climatique", regrette encore l'écologiste.

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Une écologiste amoureuse de la Genève urbaine et internationale

Elue au Grand Conseil genevois à 25 ans, puis au Conseil national à 27, Lisa Mazzone est alors la plus jeune parlementaire sous la Coupole. Elle s'y sent vite à l'aise. "J'ai vécu mon arrivée à Berne comme une forme de liberté. Genève, c'est très dynamique, mais il y a beaucoup de tensions, de crispations... C'est petit, ça crépite très rapidement! L'arrivée à Berne, pour moi, était une sorte de respiration. J'avais plus d'espace", confie-t-elle.

"La stratégie, c'est de cacher un peu qu'on est Genevoise"

Mais partir pour la capitale fédérale, c'est aussi se décentraliser par rapport à la Cité de Calvin, son électorat et ses préoccupations. "C'est clair que Berne, c'est lointain pour Genève. Genève est davantage une fenêtre sur l'international. Berne, c'est très suisse. On est loin de tout ça", analyse Lisa Mazzone, qui glisse qu'à Berne, "souvent, la stratégie, c'est de cacher un peu qu'on est Genevoise, parce qu'avec tous les préjugés qu'on peut avoir sur eux, cette image nous dessert".

J'aime ce caractère urbain! Et parfois je rigole avec mes collègues qui s'imaginent que Genève est totalement sauvage

Lisa Mazzone

Louant l'ouverture de Genève sur le monde, "cet esprit particulier avec la Genève internationale, et toute la diversité que l'on connaît ici", l'écologiste dévoile un amour inattendu pour cette ville et ce canton "urbain et précurseur sur les questions d'égalité notamment", où elle dit se sentir chez elle. "J'aime ce caractère urbain! Et parfois je rigole avec mes collègues qui s'imaginent que Genève est totalement sauvage", s'amuse celle qui habitait, un temps, au coeur du quartier multiculturel des Pâquis.

A Berne, "je ressens tout ce qui est différent [...] Je suis plutôt contente d'avoir pu porter cette voix, cette vision particulière de Genève au-delà du canton, jusqu'en Suisse alémanique".