Julie a porté plainte pour viol il y a deux ans. Durant ce laps de temps, elle a dû raconter son calvaire 27 fois: à la police, au cadre médical - médecin de famille, gynécologue, psychiatre -, à son employeur, à l'assurance-chômage et à la justice. Et elle ne cache pas son amertume.
Son violeur présumé a donné une fois sa version. "Personne ne l'interroge tous les jours", fustige-t-elle. De son côté, après cette agression, la jeune femme explique avoir dû "trouver des solutions pour arriver à fonctionner" et "réapprendre à vivre".
Blessée à la nuque, Julie a été alitée plusieurs mois, puis a perdu son travail. Si elle a reçu une indemnisation pour perte de gain, elle devra la rembourser si son agresseur est acquitté.
Procédure pénale difficile
En première instance, l'accusé a été reconnu coupable de viol, contrainte et lésions corporelles. Il a aussitôt fait recours et la sentence a été suspendue jusqu'au prochain procès, agendé en mars prochain.
"C'est le procès de qui? Evidemment que c'est le mien", estime Julie, qui redoute une nouvelle confrontation avec l'avocat de son violeur présumé. Ce dernier va en effet remettre sa parole en doute et tenter de la décrédibiliser pour innocenter son client.
"Une procédure pénale va être difficile", reconnaît le chef de la brigade des moeurs et de la maltraitance au sein de la police fribourgeoise. "Je ne recommande pas à toutes les victimes de porter plainte", mais pour celles qui sont prêtes à le faire, "je ferai tout pour l'encourager", affirme Blaise Longchamp samedi au 19h30.
Le but est cependant de mettre les auteurs de violences hors d'état de nuire. Sans témoignage auprès de la police, "il n'y aura aucune possibilité de le faire", souligne le responsable. En Suisse, selon un sondage mené en 2019, seules 8% des agressions sexuelles seraient dénoncées en justice.
Des actes "excusés et banalisés"
Pour Christelle Taraud, historienne spécialiste des questions de genre et de sexualité, invitée samedi sur le plateau du 19h30 de la RTS, l'existence d'un système dans lequel les victimes ne sont pas encouragées à porter plainte ne l'étonne pas. "Les agressions et les crimes sexuels font l'objet d'un traitement inadapté", estime-t-elle.
Dans le cadre des violences perpétrées contre les femmes, l'autrice considère que la même logique s'applique pour l'agression verbale et le meurtre. "Il est important de comprendre que les féminicides ne sont pas des crimes spontanés", explique-t-elle. "Ils s'inscrivent dans une très longue généalogie" débutant par des actes "excusés et banalisés par les femmes elles-mêmes" et créant un "régime d'impunité".
"Si on arrêtait les agresseurs à la première insulte, à la première gifle", cela permettrait d'éviter les mortes, estime la spécialiste. Il existe désormais une urgence à "faire évoluer nos sociétés" pour passer d'une égalité formelle à une égalité réelle, afin que les violences à l'encontre des femmes cessent enfin.
Propos recueillis par Valérie Gillioz
Reportage TV: François Isoard et Cecilia Mendoza
Adaptation web: Mérande Gutfreund
Des rassemblements dans le monde entier
Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté samedi dans plusieurs pays à l'occasion de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes, réclamant des changements de comportements des hommes et davantage de moyens et d'efficacité des Etats.
"Protégez vos filles, éduquez vos fils", "Céder n'est pas consentir", "Quand je sors, je veux être libre, pas courageuse", "Danser sans être droguée", pouvait-on sur des pancartes de manifestantes et manifestants dans plusieurs villes de France.
Dans le monde, 82 féminicides commis par des partenaires ou ex-partenaires ont lieu chaque jour, et on estime que 31% des femmes ont été victimes de violences physiques ou sexuelles au moins une fois dans leur vie, selon des données 2018 de l'OMS.