Présenté fin août par le Conseil fédéral, l’avant-projet de loi fédérale sur la transparence des personnes morales apparaît comme une réforme cruciale pour la place économique suisse. Du blanchiment d'argent à la fraude fiscale, en passant par la corruption ou le financement du terrorisme, le projet doit renforcer la lutte contre de nombreuses infractions. Il pourrait en outre contribuer à éviter le contournement des sanctions internationales, un domaine où la Suisse est soumise à de fortes pressions.
En application des recommandations du Groupe d'Action Financière (GAFI) dont la Suisse est membre, la réforme suit plusieurs principes relativement simples. Face aux criminels qui tentent de dissimuler leur argent sale derrière des montages de sociétés écrans, le Conseil fédéral prévoit de créer un registre national des ayants-droits économiques. Ce système permettrait aux procureurs d’identifier plus facilement les propriétaires réels des sociétés.
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En parallèle, la réforme est censée renforcer la surveillance dans plusieurs secteurs ainsi que les obligations des intermédiaires financiers. Mandatés par des entreprises, des avocats et notaires par exemple auraient dans certains cas davantage le devoir de vérifier pour qui ils travaillent et de déclarer d’éventuelles infractions.
Des principes largement salués
A l’issue de la consultation cette semaine, la RTS a analysé une partie des réponses. A l’exception de l'UDC, qui estime que le projet n'est pas nécessaire, les principes de la réforme sont dans l'ensemble largement salués. Economiesuisse, par exemple, soutient cette révision afin d'œuvrer pour l'intégrité de la place financière et d’adapter la Suisse aux évolutions internationales.
Comme souvent pourtant, le diable est dans les détails et ceux-ci sont plutôt nombreux dans ce projet. Une bataille s’annonce d’abord au sujet du futur registre des propriétaires: l’ONG Public Eye, la gauche et certains cantons comme Genève demandent que les médias et les ONG puissent lire et accéder aux informations. Ils estiment que ce sont souvent leurs investigations qui réveillent la justice en découvrant de grandes affaires de corruption comme dans le cas des Panama Papers.
A l'inverse, pour les milieux économiques, l'accès au registre doit être le plus strict possible; il en va de la protection des données.
Le rôle des intermédiaires financiers en question
Si les désaccords à propos du registre national ne devraient pas conduire à bloquer la réforme, le Conseil fédéral puis le Parlement devront aussi trancher sur d’autres points encore plus délicats: c'est notamment le cas des obligations prévues pour les intermédiaires financiers.
Si les devoirs de diligence envisagés ne vont pas assez loin aux yeux des ONG, les avocats affichent eux leur scepticisme. Inquiète pour le secret professionnel de la profession, la Fédération suisse des avocats salue la réforme mais déclare ouvertement que le gouvernement a intérêt à l'intégrer dans la suite de ses travaux pour s’assurer d’un large soutien.
Fortement représentés au Parlement à Berne, les avocats forment même des majorités dans certaines commissions concernées. De précédentes réformes pour les soumettre davantage à la loi sur le blanchiment d'argent ont d’ailleurs déjà échoué. Cette perspective rend l'entier du projet du Conseil fédéral fragile et difficile à négocier.
Etienne Kocher