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L'entreprise Trafigura devant le Tribunal pénal fédéral pour corruption présumée en faveur de l’Angola

L’entreprise de négoce suisse Trafigura accusée de corruption systémique en Angola (vidéo)
L’entreprise de négoce suisse Trafigura accusée de corruption systémique en Angola (vidéo) / Forum / 2 min. / le 6 décembre 2023
Le Ministère public de la Confédération a déféré 3 personnes et la société de négoce Trafigura Beheer BV devant le Tribunal pénal fédéral (TPF). Ce dernier est pour la première fois appelé à juger la responsabilité pénale d’une entreprise en matière de corruption d’agents publics étrangers.

Un ancien agent public angolais se voit reprocher d’avoir accepté, entre avril 2009 et octobre 2011, des paiements corruptifs de plus 4,3 millions d'euros et 604'000 dollars provenant du groupe Trafigura, en lien avec ses activités dans le secteur pétrolier en Angola, détaille mercredi le Ministère public de la Confédération (MPC).

Un ancien intermédiaire et un ancien cadre dirigeant du groupe Trafigura sont eux accusés d’avoir été impliqués dans la mise en œuvre de ce schéma de corruption. Il est enfin reproché à Trafigura Beheer BV de ne pas avoir pris toutes les mesures "raisonnables et nécessaires" visant à empêcher l’octroi de ces paiements corruptifs en son sein.

Instruction ouverte en 2020

Le MPC avait ouvert une instruction pénale contre inconnu en juillet 2020 en lien avec de possibles paiements corruptifs en faveur d'agents publics angolais.

En août 2021, l'instruction pénale a été étendue au premier prévenu, ancien membre exécutif du conseil d'administration de Sonangol Distribuidora SA, filiale de la société pétrolière étatique angolaise Sociedade nacional de combustíveis de Angola EP (Sonangol EP).

Entre janvier et mars 2023, l'instruction a été étendue au deuxième prévenu, ancien intermédiaire du groupe Trafigura en Angola, et au troisième, membre du conseil de gestion de Trafigura Beheer BV, ainsi qu'à la société elle-même.

Succursales à Genève et Lucerne

Entre 2009 et 2011, Trafigura Beheer BV, sise aux Pays-Bas, était la société mère du groupe de négoce de matières premières Trafigura et disposait de succursales à Genève et Lucerne. A l'époque, le groupe était notamment actif en Angola dans les domaines de l'affrètement et du soutage de navires.

Il avait pour principale contrepartie le gouvernement angolais, respectivement Sonangol EP et ses filiales, en particulier Sonangol Distribuidora SA. Celle-ci était chargée de la distribution et de la commercialisation de produits pétroliers sur les marchés intérieur et extérieur.

Avantages indus

Selon l'acte d'accusation, le premier prévenu aurait accepté en sa qualité d'agent public angolais des avantages indus octroyés pour le compte de Trafigura sous la forme de virements bancaires totalisant plus de quatre millions d'euros sur une relation bancaire à Genève, de remises en espèces totalisant 604'000 dollars en Angola et de paiement de frais d'hôtel et de repas totalisant 797,25 francs relatifs à un séjour à Genève.

Le deuxième prévenu, agissant à travers une société offshore en qualité d'intermédiaire de Trafigura dont il est un ex-employé, aurait octroyé une partie des avantages indus évoqués en faveur de l'agent public sous la forme de virements bancaires totalisant près de quatre millions d'euros sur une relation bancaire à Genève et de remises en espèces totalisant 604'000 dollars en Angola.

Enfin, le troisième prévenu aurait, en sa qualité de cadre dirigeant du groupe basé à Genève, octroyé une partie des avantages indus susmentionnés en faveur de l'agent public angolais. A titre subsidiaire, il lui est reproché d'avoir octroyé ces avantages indus par omission, alors qu'il occupait une position de garant au sein du groupe.

Contrats d'affrètement et de soutage

En contrepartie, l'agent public angolais aurait favorisé les intérêts de Trafigura en permettant le développement des activités d'affrètement et de soutage de navires entre le groupe et Sonangol Distribuidora SA. Et notamment la conclusion, entre juin 2009 et juillet 2010, de huit contrats d'affrètement de navires et d'un contrat de soutage pour navires.

Grâce aux revenus provenant de ces contrats, Trafigura aurait réalisé des profits s'élevant à ce jour à 143,7 millions de dollars.

Défaut d'organisation reproché

Le MPC reproche au groupe de "n'avoir pas été apte à prévenir le risque de corruption élevé" lié aux activités de Trafigura en Angola. Un risque d'autant plus élevé, souligne-t-il, que le groupe était en relation avec une société étatique angolaise et faisait appel à des intermédiaires pour développer ses affaires.

La réglementation interne de Trafigura n'aurait pas été conforme aux standards internationaux en matière de corruption, et les mesures nécessaires en ce sens n'auraient pas été mises en oeuvre.

C'est en raison de cette "désorganisation, qui se serait manifestée jusqu'au plus haut niveau de la hiérarchie de l'entreprise, que les infractions de corruption active d'agents publics étrangers évoquées auraient pu être commises", pointe le MPC.

S'agissant des soupçons de blanchiment d'argent, l'instruction n'ayant pas permis d'établir que l'élément subjectif de l'infraction aurait été rempli, le MPC a rendu une ordonnance de classement partiel concernant l'ancien agent public angolais, qui peut toutefois encore faire l'objet d'un recours.

ats/ther

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Trafigura veut se défendre

Réagissant à ces accusations, Trafigura indique "chercher à résoudre les enquêtes menées par les autorités" suisses, mais aussi américaines et brésiliennes concernant les paiements effectués par d'anciens employés par l'intermédiaire de tiers "il y a environ 10 ans ou plus".

S'agissant de la Suisse, Trafigura Beheer BV entend se défendre devant les tribunaux, notamment "en raison des contrôles de conformité et de lutte contre la corruption mis en place à l'époque".

"Depuis la période en question, nous avons considérablement renforcé notre programme de conformité et nos contrôles, notamment par une formation obligatoire pour l'ensemble du personnel", ajoute toutefois le groupe. Le recours à des tiers pour conclure des d'affaires est notamment interdit depuis 2019.

"Ces incidents historiques ne représentent en aucun cas l'entreprise que nous sommes aujourd'hui", insiste le groupe.