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Le Conseil fédéral veut agir après la découverte de milliers d'adoption illégales

Après la sortie d’un rapport accablant sur l’adoption illégale en Suisse, le Conseil fédéral souhaite réviser le droit international de l’adoption
Après la sortie d’un rapport accablant sur l’adoption illégale en Suisse, le Conseil fédéral souhaite réviser le droit international de l’adoption / 19h30 / 2 min. / le 8 décembre 2023
Des milliers d'enfants ont été adoptés illégalement à l'étranger par des Suisses. Les trop nombreuses irrégularités poussent le Conseil fédéral à vouloir réviser le droit international de l'adoption.

Dans une première étude sur l'adoption des enfants sri-lankais, le Conseil fédéral avait déjà constaté que les autorités cantonales et fédérales n'avaient pas pris les mesures nécessaires. Le gouvernement a donc demandé une deuxième étude sur dix autres pays d'origine: Bangladesh, Brésil, Chili, Guatemala, Inde, Colombie, Corée, Liban, Pérou et Roumanie.

Pour les années 1970 à 1990, la Haute école zurichoise spécialisée en sciences appliquées (ZHAW) a trouvé 8000 autorisations d'entrer sur le territoire établies pour des enfants originaires de ces pays. 2799 enfants venaient d'Inde, 2122 de Colombie, 1222 du Brésil et 1065 de Corée.

Les résultats montrent l'existence de pratiques illégales dans les dix pays, de la traite d'enfants, de la falsification de documents et de fausses indications d'origine. Les archives consultées montrent que certains parents sont allés très loin pour assouvir leur désir d'enfant.

Pour Michal Schöll, le directeur du service juridique de la Confédération, c'est à cause de problèmes systémiques, en Suisse et aussi ailleurs en Europe.

"Il y avait des compétences trop éparpillées et la coopération internationale ne fonctionnait pas comme elle aurait dû le faire", déplore-t-il dans le 12h45 vendredi, tout en relevant que de telles études se font aussi dans de nombreux pays européens. "On voit que les problèmes systémiques sont comparables d'un pays à l'autre."

>> Pour aller plus loin, lire aussi : La Suisse a fermé les yeux sur les adoptions illégales d'enfants srilankais

"Pas responsables"

Le rapport établi par la ZHAW montre également que les autorités suisses disposaient d'indices de pratiques irrégulières et problématiques dans un grand nombre de pays de provenance des enfants. Les représentations suisses n'avaient qu'une vision d'ensemble limitée de ce qu'il se passait dans leur pays de résidence. Mais les autorités fédérales recevaient des informations globales.

Les réactions des représentations suisses et des autorités fédérales face aux irrégularités ont souvent été comparables: compte tenu de leur champ de compétence, elles ne se considéraient comme responsables que d'une partie des processus.

"Mieux en Suisse"

Pour la ZHAW, cette attitude des autorités fédérales et des représentations suisses s'explique par des procédures complexes, par la multitude de compétences et par le caractère transfrontalier des dispositions légales. Elle mentionne également la conviction dominante à l'époque, selon laquelle les enfants adoptés seraient mieux lotis en Suisse que dans leur pays d'origine – une opinion partagée avec les futurs parents adoptifs et les intermédiaires.

Dans son rapport, la Haute école cite également la forte pression de la demande. Les autorités suisses ont donné davantage de poids aux besoins des couples désireux d'adopter qu'aux intérêts des enfants adoptés.

La souplesse accordée à l'entrée en Suisse était justifiée par le bien de l'enfant, point essentiel des justifications. Un enfant arrivant sur le territoire suisse avec un dossier incomplet plaçait ainsi les autorités concernées devant un dilemme entre garantie de l'intérêt de l'enfant et conformité de la procédure.

Réviser la loi

Le Conseil fédéral regrette que les autorités n'aient pas pris les mesures adéquates pour remédier à ces adoptions illégales. Ces manquements continuent de marquer les vies des personnes adoptées à l'époque. La Confédération veut soutenir ces enfants dans la recherche de leurs origines.

Le Conseil fédéral veut éviter de telles irrégularités à l'avenir. Un groupe d'experts mis en place par le Conseil fédéral a développé deux scénarios possibles au sujet de l'adoption internationale.

Le premier consisterait, en plus de la réforme de la loi, à limiter la coopération aux pays qui respectent les garanties minimales de manière "démontrable". Le deuxième serait de se retirer complètement des adoptions internationales.

"Un soutien financier et psychologique"

Mais selon Celin Fässler, chargée de communication pour l'association Back to the Roots pour les personnes adoptées au Sri Lanka, réviser la loi ne suffit pas. "Il faut aussi se demander ce qu'on fait de ces milliers de personnes qui ont été touchées par le passé", plaide-t-elle dans Forum vendredi soir. Et pour ça, elle estime qu'il leur faut un soutien financier et psychologique.

L'invitée de l'émission de la RTS a en outre précisé qu'il ne s'agissait pas seulement de 10 pays, mais qu'en réalité, il y en a "beaucoup plus", comme "la Thaïlande et l'Ethiopie".

Selon le rapport, environ 50 enfants par an ont encore été adoptés à l'étranger ces dernières années. Le Conseil fédéral a chargé les experts de lui présenter des "clarifications approfondies" d'ici fin 2024.

>> Ecouter son interview complète dans Forum vendredi soir :

La Suisse au cœur d’un trafic d’enfants adoptés illégalement dès 1970: interview de Céline Fässler (vidéo)
Des milliers d'enfants étrangers probablement adoptés illégalement en Suisse: interview de Céline Fässler (vidéo) / Forum / 5 min. / le 8 décembre 2023

ats/juma

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Appels à un moratoire

Plusieurs organisations demandent à la Confédération d'instaurer un moratoire sur les adoptions internationales. Elles souhaitent aussi une enquête systématique sur les adoptions à l'étranger.

Malgré des améliorations depuis l'entrée en vigueur de la Convention de La Haye en Suisse en 2003, il existe encore aujourd'hui des indices de pratiques d'adoption illégales, écrivent la Croix-Rouge suisse, la section suisse du Service social international (SSI), Espace A et le centre de compétences pour les questions concernant les enfants placés et adoptés PACH.

Les quatre organisations appellent donc les autorités à envisager un moratoire sur les adoptions à l'étranger, comme l'ont décrété par exemple les Pays-Bas en 2021.

Une campagne d'information est en outre nécessaire pour sensibiliser la population. Les personnes adoptées ont le droit de savoir si leur adoption était légale ou pas et si les autorités ont négligé leur devoir de surveillance et de protection.

Les organisations demandent entre autres que la recherche des origines reste gratuite pour toutes les personnes concernées et que des personnes spécifiquement formées et qualifiées soient engagées pour les encadrer. Il faut en outre mettre en place une base de données ADN sûre et les bases juridiques nécessaires à cet effet.