Laura Roveri a survécu à quinze coups de couteau portés par son ex-compagnon qu'elle avait quitté quelque temps auparavant. "Il n'a jamais été violent d'un point de vue physique mais son comportement m'a piégée. Lentement, de manière subtile, il m'a enfermée dans une prison invisible."
J'ai commencé, petit à petit, à accepter certains comportements que je considérais comme inacceptables pour une femme.
La force et le calme de cette femme de 26 ans traversent tout le documentaire de Nina Paschalidou. Avec le recul, elle analyse: "J'ai commencé, petit à petit, à accepter certains comportements que je considérais comme inacceptables pour une femme. Il contrôlait les aspects les plus simples de ma vie: qui je rencontrais, où j'allais, comment je me comportais avec mes amis."
Ce type de comportement a un nom: le contrôle coercitif (voir encadré). Il s'agit d'actes qui, si on les prend séparément, ne constituent pas une infraction pénale, mais qui, dans leur ensemble, peuvent avoir des conséquences graves pour la personne visée, sa vie, sa liberté et son estime d'elle-même.
Le contrôle est une forme de violence psychologique très forte. On en vient à penser qu'on est folle.
"Le contrôle est une forme de violence psychologique très forte. On en vient à penser qu'on est folle. On ne comprend pas qu'on entre dans le piège parce qu'on est poussée à se remettre soi-même en question constamment", explique Agathe Felley, intervenante LAVI de Solidarité Femmes Fribourg. Pour cette professionnelle de l'aide aux victimes, il est impératif de ne pas laisser l'auteur isoler la personne: "Il faut garder le lien, rester à l'écoute sans juger. Proposer son aide et venir régulièrement aux nouvelles. La personne qui commet les violences se rendra compte que sa victime a des ressources autour d'elle."
La honte d'être une victime
C'est souvent l'entourage des victimes qui prend contact avec les centres de consultation LAVI pour demander conseil. Les femmes concernées peinent à se reconnaître dans l'image stéréotypée d'une victime faible et naïve. "C'est dangereux d'avoir le mythe d'une victime type. Ça dénigre les personnes qui ont besoin d'aide et ça empêche certaines femmes d'aller en chercher. Parce qu'elles vont se dire: 'Je ne suis pas ce genre de femmes-là, je ne suis pas faible.' On a très vite l'impression d'être une idiote quand on nous dit: 'Mais ce qu'il te fait là, c'est pas ok.' C'est triste qu'on associe l'intelligence au fait de se laisser avoir ou pas. N'importe qui est susceptible d'être manipulé", constate Agathe Felley.
Agathe Felley réagit à cinq extraits du documentaire "Féminicide":
Harcèlement obsessionnel ou stalking
En Suisse, la violence psychologique peut notamment inclure les infractions pénales suivantes: menaces, contrainte, injures, diffamation, calomnie, utilisation abusive d'un téléphone ou d'un ordinateur, dommages à la propriété, violation de domicile. Cependant, l'établissement de la preuve sera forcément plus difficile que pour des violences physiques.
Dans toutes les procédures pénales, la police doit réunir des preuves pour que le Ministère public puisse retenir une infraction. Dans les cas de harcèlement, les preuves sont bien souvent apportées par la victime (copies des courriers, sms, témoignages, etc.). Une nouvelle norme pénale permettrait aux personnes concernées d'être reconnues comme victimes au sens de la LAVI (Loi sur l'aide aux victimes d'infractions) et de faciliter leur accès aux prestations prévues.
Un avant-projet est actuellement en consultation, l'article 181b du Code pénal suisse: "Quiconque traque, harcèle ou menace obstinément une personne et l'entrave dans la libre détermination de sa façon de vivre, est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.". Le texte pourrait être modifié sur la base des résultats de la consultation, puis par le Parlement.
Le féminicide n'existe pas dans le code pénal suisse
En 2022 en Suisse, 25 homicides ont été enregistrés dans la sphère domestique (23 en 2021), ce qui représente 59,5% de tous les homicides perpétrés enregistrés par la police en Suisse (total: 42). Sur ces 25 homicides, 16 ont eu lieu dans le cadre d'une relation de couple actuelle ou passée: 15 femmes et 1 homme ont été tués. Selon le Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes (BFEG), les femmes sont victimes d'homicide ou de tentative d'homicide près de quatre fois plus souvent que les hommes; la proportion de femmes décédées est sept fois plus élevée.
L'utilisation de la notion de féminicide permet de visibiliser et d'analyser le phénomène dans son contexte particulier afin de mettre en place des mesures concrètes pour mieux prévenir ce type de meurtres.
RTS Documentaires, Muriel Reichenbach
Violence: que faire ? L'association romande répond à vos questions dans un délai de trois jours ouvrables.
https://www.victimepasseule.ch/lavi pour les victimes de violence en Suisse
https://prevention-ale.ch/ pour une personne majeure ayant recours à des comportements agressifs envers un·e partenaire intime au sein d'un couple hétérosexuel ou LGBTIQ+ et qui souhaite y mettre un terme. Ce type de consultation existe dans tous les cantons suisses.
Le contrôle coercitif
C’est le professeur Evan Stark qui, en 2007, conceptualise le contrôle coercitif. Il explique que certains hommes l'utilisent comme outil de subordination des femmes. Evan Stark estime que les hommes se sont adaptés à l’avancée des droits des femmes en adoptant des "stratégies de contrôle et de domination moins ouvertement visibles, plus subtiles, mais tout aussi dévastatrices".
Le contrôle coercitif est caractérisé par des violences et des intimidations, afin d’affaiblir la résistance de la victime et de maintenir la violence secrète. Le harcèlement et les humiliations vont de l’interdiction de se couper les cheveux à des règles infantilisantes ou encore des pratiques sexuelles humiliantes. D'autre part, le contrôle permet à l’auteur de maintenir l’obéissance de la victime, en la coupant de ses ressources, par l’isolement social, mais également de ses ressources personnelles, en sapant sa capacité à s’autodéterminer.
Féminicide: la définition de l'Organisation mondiale de la santé
Il s’agit du meurtre de femmes ou de jeunes filles lié au fait qu’elles sont des femmes. Le caractère genré du motif doit être présent. Une femme tuée dans le cambriolage d’une banque ou par un chauffard ne peut pas être de facto considérée comme victime d’un féminicide. Le meurtrier n’est pas nécessairement un homme.
L’OMS distingue plusieurs cas :
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le féminicide "intime", commis par le conjoint, actuel ou ancien de la victime. Selon une étude citée par l’Organisation mondiale de la santé, plus de 35% des femmes tuées dans le monde le seraient par leur partenaire, contre 5% seulement des meurtres concernant les hommes;
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le féminicide "non intime", qui implique une agression sexuelle ou dans lequel les femmes sont explicitement visées. Les exemples les plus fréquemment cités sont les centaines de femmes tuées durant de nombreuses années à Ciudad Juarez, au Mexique, ou la tuerie antiféministe à l’Ecole polytechnique de Montréal en 1989;
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les "crimes d'honneur" : lorsqu’une femme accusée d’avoir transgressé des lois morales ou des traditions — commettre un adultère, avoir des relations sexuelles ou une grossesse hors mariage, ou même avoir subi un viol — est tuée pour protéger la réputation de la famille. Le meurtrier peut être un homme ou une femme de la famille ou du clan;
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le féminicide lié à la dot, en particulier en Inde, lorsque des jeunes femmes sont tuées par leur belle-famille pour avoir apporté une somme d’argent insuffisante lors du mariage.