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La pénurie de médecins généralistes frappe-t-elle votre région? Notre carte

La pénurie de médecins en Suisse. [RTS]
La pénurie de médecins en Suisse / Mise au point / 11 min. / le 21 janvier 2024
Le district des Franches-Montagnes, dans le Jura, compte cinq fois moins de généralistes que celui de Lausanne, d'après une enquête de la RTS qui dévoile d'importantes disparités régionales. Découvrez en détail sur notre carte la densité de médecins de premiers recours dans votre région.

Mieux vaut tomber malade au bon endroit. Trouver un médecin de famille peut devenir un calvaire, surtout dans certaines régions mal loties. Il faut parfois effectuer des dizaines d'appels pour en dénicher un, et parcourir de nombreux kilomètres.

Pour mesurer l'ampleur du problème, la cellule data de la RTS a cartographié la densité de généralistes à partir du registre suisse des autorisations de pratiquer, qui recense tous les médecins en activité du pays.

Résultat: sans surprise, la pénurie affecte en premier lieu les régions périphériques. Ce sont les Franches-Montagnes qui abritent le moins de praticiens en Suisse romande. Le district en compte moins de 5 pour 10'000 habitants. Un chiffre nettement en dessous de la moyenne nationale, qui se situe à environ 12 généralistes pour 10'000 habitants.

A l'opposé, plusieurs districts urbains enregistrent plus de 20 médecins de premiers recours pour 10'000 habitants. Celui de Lausanne arrive en tête, avec 28 médecins pour 10'000 habitants, notamment grâce à la présence de ses hôpitaux.

Au niveau cantonal en Suisse romande, la plus grande densité se trouve à Genève, les plus faibles à Fribourg et dans le Jura.

De la peine à trouver un remplaçant

L'émission Mise au Point s'est rendue dans les Franches-Montagnes. Deux des cinq généralistes qui y sont installés ont déjà atteint l'âge de la retraite. L'un d'eux a décidé d'arrêter sans avoir trouvé de remplaçant, malgré ses recherches.

Une grosse consultation comme ici, cela fait peur à un jeune. A la fin de la journée, on est cuit

Nicolas Anker, généraliste à Saignelégier

"Cela fait un an et demi, personne ne s'est présenté", raconte le Dr Nicolas Anker, 67 ans, dans son cabinet de Saignelégier. "Une grosse consultation comme ici, cela fait peur à un jeune médecin. Même avec l'habitude de mes patients, ce sont quand même 10 à 12 heures de travail par jour. A la fin de la journée, on est cuit."

Seuls ses patients seniors continueront à être suivis dans ce cabinet par l'Hôpital cantonal du Jura. Les autres devront trouver un nouveau médecin ailleurs.

Des blouses blanches grisonnantes

Déjà marquée par endroits, la pénurie de généralistes guette l'ensemble de la Suisse. La raison? Le vieillissement des médecins de premiers recours.

Toujours selon notre analyse du registre des autorisations de pratiquer, de nombreux praticiens frôlent la fin de carrière. Plus d'un généraliste sur trois (35%) a plus de 60 ans. Parmi eux, une part importante a déjà atteint, parfois depuis longtemps, l'âge de la retraite. Le graphique ci-dessous met en lumière la fragilité du système dans les années à venir.

Démarchage de généralistes

Face au risque de pénurie, certains prennent les devants. A Neuchâtel, Roland Nötzel, délégué à la domiciliation, tente de convaincre des médecins de s'installer dans le canton. Depuis un an, celui-ci propose gratuitement un soutien personnalisé: aide aux démarches administratives, recherche de logement ou d'un emploi pour les partenaires.

"Il y a un manque, il n'est pas plus gros qu'ailleurs", explique Roland Nötzel. "Au contraire, Neuchâtel est plutôt meilleur que les cantons voisins à ce niveau-là, mais c'est notre volonté d'anticiper et de pouvoir offrir à la population neuchâteloise la structure et la couverture de médecine de premier recours qu'elle mérite."

En un an, le canton a accompagné huit nouveaux médecins dans leur installation, quatre Suissesses et quatre Françaises.

Quand on a suivi pendant plus de 30 ans des patients, c'est difficile de les lâcher dans la natureAndré Schaub, généraliste à Hauterive (FR)

Toutes les initiatives ne sont pas couronnées de succès. Dans les régions rurales, la succession des généralistes qui partent à la retraite se transforme souvent en casse-tête.

A Hauterive, dans le canton de Fribourg, le médecin et le syndic avaient pourtant tout prévu pour attirer la relève dans le village. La commune a réservé un local et voté un prêt de 300'000 francs sans intérêts pour aider des jeunes qui voudraient s'installer.

Depuis un an, ils font chou-blanc. "On a des contacts, puis il leur faut souvent deux à trois mois pour se décider. Et, d'un coup, on reçoit une réponse négative", soupire le syndic Dominique Zamofing. "Donc on recommence tout à zéro. C'est un peu usant, mais actuellement on a quand même des pistes."

En attendant un repreneur, le médecin du village a déjà repoussé son départ à la retraite à plusieurs reprises. "Quand on a suivi pendant plus de 30 ans des patients, c'est difficile de les lâcher dans la nature", déplore le Dr André Schaub, qui fustige dans Mise au Point le laxisme des autorités politiques pour assurer la relève.

Etudes trop sélectives? "Un système absurde"

Pour le directeur de l'institut de médecine de famille à l'Université de Fribourg Pierre-Yves Rodondi, une partie du problème se trouve à l'université. "Près de 60% des jeunes qui souhaitent devenir médecins vont être éliminés. On restreint énormément l'accès aux études, puis, à la fin, on va importer 40% de nos médecins. C'est quand même un système vraiment absurde."

"Nous aurions besoin qu'environ 730 médecins de famille s'installent chaque année en Suisse. Et ce n'est de loin pas le cas", poursuit Pierre-Yves Rodondi. "A Fribourg, il en faudrait 38. C'est le nombre de médecins qu'on forme à l'Université de Fribourg. Or, une bonne partie d'entre eux va se spécialiser dans d'autres domaines."

Actuellement, plus de la moitié des étudiants s'orientent vers d'autres spécialités. Pour leur donner envie de devenir généraliste, l'Université de Fribourg propose depuis 2019 un master en médecine de famille, qui immerge les futurs médecins dans des cabinets tout au long de leur cursus. Pas sûr que cela suffise à détourner suffisamment d'étudiants des autres domaines, parfois moins pénibles et plus lucratifs, pour pallier la pénurie.

Valentin Tombez et Léandre Duggan

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Médecin de famille, un métier qui se féminise

Historiquement très masculine, la profession de généraliste se féminise de plus en plus ces dernières années.

D'après notre analyse des données du registre des autorisations, les femmes ne représentent que 36,5% des médecins de famille de plus de 50 ans, alors que ce chiffre grimpe à 60% chez les praticiens de moins de 50 ans.

Méthodologie et données

Notre analyse se base sur les données du registre des professions médicales (MedReg) de la Confédération, récupérées début décembre 2023. Le MedReg centralise les autorisations de pratiquer délivrées par les cantons.

Seuls les médecins praticiens et médecins avec un titre en médecine interne générale sans autre spécialité ont été conservés, soit 11'220 médecins.

Ces données ne précisent pas le taux d'activité des médecins, uniquement s'ils sont actifs et autorisés à pratiquer.

Les chiffres entre la carte par district et la carte par canton peuvent différer. La totalité des données a été prise en compte pour l'analyse par canton, alors que seuls les médecins ayant indiqué une adresse (94% des médecins) ont été comptabilisés pour l'analyse par district. La différence est notable à Genève, où un nombre significatif de praticiens n'a pas fourni d'adresse.

Un médecin peut avoir plusieurs adresses, par exemple s'il travaille dans plusieurs cabinets et/ou hôpitaux. Il peut ainsi être compté dans plusieurs districts ou cantons à la fois.