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Micheline Calmy-Rey: "Ce qui manque actuellement au Conseil fédéral, c'est un peu de leadership"

#Helvetica: Micheline Calmy-Rey, ancienne Présidente de la Confédération
#Helvetica / 20 min. / le 13 janvier 2024
Treize ans après avoir quitté le Conseil fédéral, Micheline Calmy-Rey, 78 ans, est encore hyperactive. Dans l'émission Helvetica, l'ancienne cheffe de la diplomatie helvétique, aujourd'hui professeure à l'Université de Genève, raconte sa vie d'aujourd'hui et donne son opinion sur la politique étrangère de la Suisse.

"Madame Calmy-Rey", "Madame la présidente" ou "Madame l'ancienne présidente"? Invitée dans l'émission Helvetica, Micheline Calmy-Rey explique que 13 ans après avoir quitté le Conseil fédéral les gens sont souvent empruntés lorsqu'il s'agit de la nommer aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, la Valaisanne d'origine avoue ne pas trop aimer quand on l'appelle "Madame l'ancienne présidente de la Confédération".

"Cela réduit ma vie à ce que j'ai fait il y a plus de 10 ans. Maintenant, j'enseigne notamment à l'Université de Genève (Unige). J'ai une autre carrière", insiste-t-elle. "Je donne des cours sur la négociation, les théories de la négociation, sur la politique étrangères de la Suisse. On étudie aussi de nombreux cas pratiques", détaille celle qui a été en charge du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) de 2003 à 2011.

Une vie bien remplie donc, et c'est sans compter aussi sur ses nombreux projets en cours, notamment d'écriture, et ses autres engagements au sein de fondations actives sur le plan international.

Importance du débat

Au coeur de ses leçons à l'Unige - et c'est ce qui l'a toujours animé elle-même d'ailleurs - il y a le débat. Que ce soit dans la politique qu'elle a menée - d'abord à l'échelon cantonal puis national -, mais également au sein de sa propre famille lors de repas de Noël par exemple, la Genevoise d'adoption souligne qu'elle a toujours aimé débattre, discuter, partager ses idées... "Et c’est d’autant plus intéressant quand on n'a pas les mêmes opinions", ajoute-t-elle.

On a le sentiment aujourd'hui que le Conseil fédéral est divisé. On est une bonne équipe quand tout le monde tire à la même corde

Micheline Calmy-Rey, ancienne conseillère fédérale en charge du Département des affaires étrangères (DFAE)

Pour elle, le débat, c'est donc un élément nécessaire pour faire avancer les choses. D'autant plus au sein du Conseil fédéral où la socialiste siégeait à l'époque aux côtés de pontes de la politique, à l'instar de Christoph Blocher (UDC) ou Pascal Couchepin (PLR). "Chaque grand parti est représenté au sein du collège des conseillers fédéraux. On appartient à des orientations politiques différentes et on doit débattre entre nous pour trouver des solutions consensuelles", raconte-t-elle.

Et à la question de savoir si elle trouve que la culture du débat a disparu aujourd'hui au sein de l'Exécutif fédéral, Micheline Calmy-Rey botte en touche. "Je ne sais pas si ça a disparu, mais ce qui manque actuellement au Conseil fédéral, à mon avis, c'est un peu de leadership. On a le sentiment qu'il est divisé. On est une bonne équipe quand tout le monde tire à la même corde", avoue-t-elle.

Son côté conformiste mais en même temps rebelle, Micheline Calmy-Rey dit l'avoir hérité de ses racines valaisannes. "Je me sens très genevoise. J’ai fait toute ma vie politique à Genève, et mes enfants sont genevois. Mais je reste très attaché à mes racines, j'ai un côté très valaisan, à la fois conformiste et rebelle."

Fervente défenseuse de la neutralité suisse

Outre son goût pour le débat, celle qui déclare "avoir toujours quelque chose à dire" est aussi connue pour être une fervente défenseuse de la neutralité suisse, une "neutralité active". Une notion dont le sens premier, déplore-t-elle, a tendance aujourd'hui à se perdre, au gré de l'actualité. "Pourtant, c'est clair. La neutralité, c’est le renoncement à la force pour régler les conflits."

Quand vous regardez ce qu'il se passe à Gaza, en Ukraine ou à la frontière entre l’Arménie et l'Azerbaïdjan, ce sont les rapports de force qui dominent. Et nous, la Suisse, ne sommes pas dans des rapports de force.

Micheline Calmy-Rey, ancienne conseillère fédérale en charge du Département des affaires étrangères (DFAE)

En ce sens, concernant l'Ukraine, la Suisse peut donc faire beaucoup de choses, en aidant par exemple à reconstruire le pays. "Mais elle ne peut pas envoyer des armes", insiste-t-elle. Or, tout le monde ne le comprend pas, ou plus.

"On vit dans un monde où les gens sont comme des curés de paroisse, ils vivent de professions de foi. Ils partent du principe qu'ils ont raison, et que c'est comme ça", décrypte-t-elle. Un phénomène que les réseaux sociaux amplifieraient selon elle: "On vous dit ce qu'il faut manger, ce qu'il faut penser, ce qu'il faut faire... Et la neutralité ne rentre pas dans ce champ-là. Avec la neutralité, on est dans un autre champ, on n'est pas dans un monde de rapports de force."

Ce monde constitué de rapports de force est aujourd'hui dominant, regrette l'ancienne cheffe de la diplomatie suisse. "Quand vous regardez ce qu'il se passe à Gaza, en Ukraine ou à la frontière entre l’Arménie et l'Azerbaïdjan, ce sont les rapports de force qui dominent. Et nous, la Suisse, ne sommes pas dans des rapports de force."

Et l'ancienne conseillère fédérale de conclure: "Mais si on estime que ce n’est plus suffisant, que la Suisse devrait collaborer davantage avec les autres en termes de sécurité ou d’armements, il faudrait alors que l'on réfléchisse à entrer dans l’Otan, ainsi que dans l’Union européenne..."

Propos recueillis par Philippe Revaz

Adaptation web: Fabien Grenon

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