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Comment faire face aux baisses de revenus lorsqu'on est paysan?

La baisse des revenus des agriculteurs à cause du renchérissement du coût de la vie (vidéo)
La baisse des revenus des agriculteurs à cause du renchérissement du coût de la vie (vidéo) / La Matinale / 4 min. / le 12 janvier 2024
Le monde agricole entame cette nouvelle année avec inquiétude. L'Union suisse des paysans (USP) pointe de fortes baisses de revenus au sein des exploitations, en raison notamment du renchérissement. Sur le terrain, il n'est pas toujours facile de faire face à ce défi. Témoignages.

La situation est compliquée. C'est le constat général des agriculteurs et agricultrices rencontrés par la RTS. Et les difficultés ne datent pas d'hier: 950 exploitations en moyenne disparaissent chaque année depuis 20 ans, selon les chiffres de l'Office fédéral de la statistique.

Et pour beaucoup, l’avenir est incertain. A l'instar de Bertrand Mouttet, qui essaie tant bien que mal de garder la tête hors de l’eau. Cet agriculteur jurassien à la retraite a remis la ferme familiale à son fils, mais il continue à se lever tous les matins pour traire ses vaches.

Frappée par une forte baisse de revenus par rapport à ses débuts en 1982, la production laitière de son exploitation est aujourd'hui à la peine: "Quand j'ai commencé, j'avais un quota annuel de 70'000 litres de lait qui me rapportait un franc par litre. Or, en 2023, j'ai trait 150'000 litres et je n'ai pas beaucoup plus de 70'000 francs", rapporte Bertrand Mouttet.

Certaines années, je n'arrivais pas à 10 francs de l'heure

Bertrand Mouttet, agriculteur jurassien

Il a connu plusieurs périodes de vaches maigres: "Certaines années, je n'arrivais pas à 10 francs de l'heure." Avec de lourdes conséquences financières: "Ce qui me fait le plus mal, c'est d'arriver à la retraite sans avoir un franc de côté."

Comme la majorité des exploitations, celle du Jurassien perçoit des aides de la Confédération, soit 50'000 francs de paiements directs chaque année. Ce soutien est vital, mais il ne plaît pas pour autant à son bénéficiaire: "Je me sens méprisé. Ces paiements directs sont un manque de respect envers les agriculteurs et ce n'est pas reconnaître notre travail. Avec ce système, on favorise les fainéants."

Se diversifier pour tenir

Autre ferme, autre stratégie: Vanessa Renfer et son mari exploitent 35 hectares de terrain agricole à Enges, sur les hauts de Neuchâtel. Le couple a fait d’excellentes affaires durant la période du Covid, grâce au succès de la vente directe. Mais le retour à la normale s’est accompagné d’une chute de 30% de ses ventes.

Pour garder le cap, les Renfer misent surtout sur une diversification de la production: "On est relativement peu dépendants des marchés, dans le sens où on n'a pas de très gros volumes qu'on vend à un seul acheteur qui ferait la pluie et le beau temps sur notre exploitation", explique Vanessa.

"On a nos oeufs dans plusieurs paniers. Le bétail bovin, par exemple, se vend plutôt bien en ce moment. En 2023, on a eu une très bonne vendange. Les choses s'équilibrent un peu comme ça. Chaque année, on doit se réadapter et faire avec ce que l'on a", ajoute la Neuchâteloise.

Cela n'empêche pas l'entreprise d’être frappée de plein fouet par le renchérissement: "La hausse du prix des aliments pour les poussins a été très marquée pour nous."

Avec l'inflation, on est face à des consommateurs qui sont moins prêts à dépenser le juste prix pour leur nourriture. Cela signifie qu'on le prend de notre poche

Vanessa Renfer, agricultrice neuchâteloise

Et elle n'est pas facile à répercuter sur les prix de ventes: "Avec l'inflation, on est face à des consommateurs qui sont moins prêts à dépenser le juste prix pour leur nourriture. Cela signifie qu'on le prend de notre poche pour pouvoir continuer de vendre nos produits à un prix raisonnable, mais qui couvre quand même nos frais de production."

Investir ou mourir

Parfois, les exploitations nécessitent d'importants investissements. Anne Chenevard en a fait l’expérience. Cette agricultrice élève une quarantaine de vaches à Corcelles-le-Jorat (VD).

Elle préside aussi l’association Faireswiss, qu’elle a créée avec d’autres agriculteurs et qui propose du lait équitable. L'organisation compte sur la solidarité des consommateurs: "Tout le lait vendu sous la marque Faireswiss est valorisé à un franc le litre pour le producteur, alors qu'on est aux alentours de 65 ou 70 centimes dans la filière ordinaire", indique la Vaudoise.

Cette solution lui a permis de rénover son exploitation et, ainsi, de poursuivre ses activités: "J'ai investi 1,2 million de francs. C'est un montant difficile à amortir avec le prix du lait conventionnel. Sans l'amélioration de mon revenu grâce au lait équitable, je n'aurais jamais pu investir dans mon outil de travail. Et sans cet investissement, il n'y aurait pas eu de perspective pour la production laitière sur ma ferme et j'aurais dû abandonner cette filière."

Sans l'amélioration de mon revenu grâce au lait équitable, je n'aurais jamais pu investir dans mon exploitation et j'aurais dû abandonner

Anne Chenevard, agricultrice vaudoise

Toutes ces situations sont donc bien différentes. Mais le constat est globalement inquiétant pour l’Union suisse des paysans (USP). Selon elle, les revenus au sein des exploitations ont connu une baisse annuelle comprise entre 4% et 10% par paysan, selon les régions.

L’USP réclame ainsi des hausses de prix à la production de 5 à 10% pour cette année.

Mathieu Henderson

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