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Après la fumée, le casse-tête des mégots

Les mégots qui partent dans les égouts, un problème pour l'eau?
Les mégots qui partent dans les égouts, un problème pour l'eau?
Fumer tue, prévient la notice sur les paquets de cigarettes. Fumer pollue, aussi. Si l'air des lieux publics est désormais assaini avec l'interdiction de fumer, ce sont maintenant les mégots, jetés par terre, souillant trottoirs et bouches d'égout, qui posent problème, représentant potentiellement un danger pour l'environnement.

Le 1er mai, la loi fédérale sur l'interdiction de fumer dans les lieux publics entre en vigueur. Dans les cantons romands où un tel règlement est déjà en place, les voiries notent une forte hausse du nombre de mégots jetés par terre. Certains d'entre eux finissent dans les égouts. De quoi susciter des inquiétudes pour la qualité de l'eau.

Les mégots, source de pollution?

La composition d'un mégot n'est pas rassurante: cellulose, acétate, glycérine, goudron, nicotine... De quoi polluer l'eau s'il finit dans le caniveau. D'autant qu'il met entre trois mois et dix ans, selon les cas, pour se décomposer. Hautement nocif pour l'eau si l'on en croit de nombreux sites, à l'instar de ConsoGlobe , un portail français dédié au développement durable.

Les mégots de cigarettes sont du "littering", pour l'OFEV.
Les mégots de cigarettes sont du "littering", pour l'OFEV.

Un point de vue partagé par Philippe Roch, l'ancien directeur de l'Office fédéral de l'environnement: "les mégots sont polluants. La pollution de nos rivières est déjà grave et c'est dramatique quand on y ajoute les mégots" (

lire son interview ci-contre

).

Les experts en Suisse romande et à Berne ne sont pourtant pas de cet avis. S'il y a davantage de mégots jetés dans les égouts, ils ne sont pas aussi problématiques pour l'environnement que l'on croit, indique Dominique Raboud, de la station d'épuration genevoise d'Aïre. "Le système de traitement de l'eau permet d'intercepter les mégots, sans que la qualité de l'eau ne pâtisse de leur passage", explique le responsable d'unité.

Même constat du côté du service de l'écologie de l'eau à Genève. "Les mégots contiennent des produits polluants comme des restes d'hydrocarbures ou de la nicotine", note Jean Perfetta, adjoint scientifique. Mais une fois dans l'eau, ces substances potentiellement dangereuses sont tellement diluées qu'il n'y a pas lieu de s'en inquiéter. "La probabilité d'une pollution importante par les mégots est faible, même si on ne peut pas l'exclure", affirme-t-il.

A l'Office fédéral de l'environnement (OFEV), les mégots et leur impact sur la nature ne font pas l'objet d'une étude spécifique. Ils sont considérés comme une forme de "littering", soit les déchets jetés par terre, indique Rebekka Reichlin, chargée de l'information à l'OFEV.

Différentes mesures

Il n'en reste pas moins que l'accumulation des mégots sur les trottoirs choque. Du côté des voiries, on constate l'invasion des mégots, que ce soit à Sion, à Neuchâtel, à Lausanne, à Fribourg ou à Genève, où il est déjà interdit de fumer. Surtout à l'entrée des bars, cafés et restaurants, devant les commerces, banques et aux arrêts de bus. Comment juguler ce problème?

En jetant son mégot par terre, on prend la nature pour une poubelle, note

Philippe Roch, ex-directeur de l'OFEV

. Frédéric Haenni, président de l'association faîtière des restaurateurs vaudois GastroVaud, estime qu'il est difficile d'éliminer le problème des mégots. Et de militer pour la présence de fumoirs à l'intérieur des établissements. D'autres, comme la voirie de Genève, offrent des cendriers de poche gratuits. Tout comme British American Tobacco.

Le cigarettier effectue parallèlement des recherches pour élaborer des filtres biodégradables, mais aucune solution satisfaisante n'a été trouvée pour l'heure. Philip Morris vante de son côté... le pictogramme "Keep Switzerland beautiful" imprimé sur ses paquets de cigarettes.

Cendriers en ville, état des lieux

Au niveau politique, la question est aussi abordée. A Genève, Vincent Maître, député PDC au Grand Conseil, avait déposé une motion pour une politique globale concernant l'installation de cendriers avant l'entrée en vigueur de l'interdiction de fumer dans le canton. Sans succès.

Un cendrier un lundi matin à Plainpalais, à Genève.
Un cendrier un lundi matin à Plainpalais, à Genève.

Aujourd'hui, la Ville de Genève propose des cendriers aux cafetiers à des prix intéressants, informe Caroline Widmer, chargée de communication du Département de l'environnement. Et une campagne est en préparation pour sensibiliser à la question banques, régies, bureaux et autres commerces.

A Fribourg, le projet de pose de cendriers de mur, dits "Wallbins", est tombé à l'eau. Les politiques ont estimé que la publicité qui devait orner ces réceptacles à mégots était une autre forme de pollution, selon le fondateur du projet. A la gare toutefois, les poubelles seront remplacées par des corbeilles équipées de cendriers à la mi-mai, note la voirie. A Sion, la Ville a installé des cendriers à la place des Remparts. A Neuchâtel, rien n'est prévu. Delémont, où aucun règlement n'a précédé la loi fédérale, a décidé d'observer l'évolution de la propreté des rues une fois l'interdiction en vigueur.

"Il faut sensibiliser les fumeurs"

Le trajet "normal" d'un vieux filtre passe par un cendrier ou une poubelle, mais pas par les trottoirs ou les bouches d'égout, souligne Dominique Raboud, de la station d'épuration d'Aïre, à Genève: "un mégot n'a rien à faire dans l'eau. En le jetant dans le caniveau, on complique son traitement. C'est inutile et idiot. Il faut sensibiliser les fumeurs, car le respect de l'eau est une notion importante".

Un mégot ne pollue donc pas l'eau, mais il n'en est pas moins salissant, et c'est l'incivilité des fumeurs qui est pointée du doigt: "le respect de la nature est une question de civilité, de civisme, de morale et de respect des autres", s'exclame Philippe Roch. Ni la nature ni les rues ne sont des poubelles, résume-t-il. Aux fumeurs donc d'utiliser les cendriers mis à leur disposition... quand il y en a.

Nathalie Hof

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PHILIPPE ROCH, ANCIEN DIRECTEUR DE L'OFEV: LA NATURE N'EST PAS UNE POUBELLE

Avec l'introduction de l'interdiction de fumer au niveau fédéral le 1er mai, la probable augmentation du nombre de mégots jetés par terre vous inquiète-t-elle?

Oui, parce que beaucoup de mégots partent directement dans les canalisations et finissent sans traitement dans les rivières.

En quoi est-ce un problème?

Les mégots sont polluants. La pollution de nos rivières est déjà grave et c'est dramatique quand on y ajoute les mégots. Mais en sus de cette problématique environnementale, ce qui m'inquiète, c'est qu'en jetant son mégot par terre, on prend la nature pour une poubelle. C'est un geste qui me choque.

La nature reste donc votre cheval de bataille?

Oui, le respect de la nature est une question de civilité, de civisme, de morale et de respect des autres. Tout ce qu'on fait pour la nature, on le fait pour l'ensemble de la société. Jeter son mégot par terre, c'est un signe d'irrespect pour la nature et pour autrui.

Que faire contre ce phénomène?

Informer les gens quant à l'importance du tri, du recyclage des déchets pour préserver la nature. En Suisse, nous avons un fort taux de recyclage du papier, du PET ou du verre. Mais on trouve encore d'énormes quantités de déchets dans la nature.

Que préconisez-vous?

Les politiques devraient mener une réflexion sur l'éducation au recyclage à l'école. Pour l'heure, c'est laissé au hasard de la bonne volonté des enseignants à l'école. Dans les programmes scolaires, on trouve des objectifs en matière de mathématiques ou de langues étrangères. Mais rien sur l'environnement.

Pour en revenir aux mégots?

Les restaurants sensibles à la question des déchets installeront des cendriers. Il faut espérer que les marchands de cigarettes distribueront aussi des cendriers de poche. Parce que la question des mégots est problématique. Ce qui me choque aussi, c'est la saleté aux abords des arrêts de bus et dans les gares. C'est désagréable. Il y a des solutions pour faire comprendre aux gens que chaque petit geste, comme le fait d'utiliser un cendrier, est important pour la nature et pour l'ensemble de la population.

Propos recueillis par Nathalie Hof

1 AN DE MEGOTS = 2 PISCINES OLYMPIQUES

Selon British American Tobacco, la Suisse compte un million de fumeurs.

Si l'on estime qu'ils fument en moyenne une quinzaine de cigarettes par jour, on peut compter que 15 millions de mégots finissent à la poubelle ou dans les égouts tous les jours.

Par an, cela représente donc un total de 5,475 milliards de mégots qui partent dans les centres d'incinération des déchetteries, les stations d'épuration ou dans les cours d'eau et les lacs.

Si l'on compte qu'un mégot mesure 1 centimètre cube, les fumeurs en Suisse jettent chaque année à la poubelle ou par terre environ 5'475 m3 de mégots, soit un peu plus de deux piscines olympiques!

QUELQUES PROPOS DE FUMEURS/NON-FUMEURS

"Que les choses soient claires: je ne jette jamais mes mégots par terre. C'est un principe".

"Quand je suis à la montagne, je ne jette pas mes cigarettes par terre, par respect pour la nature. Mais en ville, je ne fais pas attention. De toute façon, il y a les balayeurs pour nettoyer".

"Les cendriers de poche, ça pue. Dans un sac à main, ça ne le fait pas. En fait, ça daube grave".

"Je suis serveur dans un restaurant. Le matin, je dois balayer les mégots sur la terrasse. Ca me dégoûte un peu. Je suis non-fumeur. Mais il faut bien que ça soit propre quand les clients arrivent".