"La classe". Casque sous le bras, œil brillant et sourire aux lèvres, le jeune pilote nous rejoint sur le pont qui surplombe l’autoroute A1, fermée à l’occasion de l’exercice militaire "Alpha Uno" mercredi 5 juin. "Igor", de son nom de code, vient d’atterrir sur l’asphalte en F/A-18. "Comparé aux exercices du simulateur, c'est quand même plus impressionnant. Les arbres particulièrement…", sourit-il. Principal défi pour les pilotes, la largeur de la piste improvisée: 25 mètres alors que le F/A-18 fait un peu plus de 12 mètres d’envergure.
Cet exercice de décentralisations des capacités militaires, régulièrement pratiqué durant la guerre froide, n'avait plus été réalisé depuis 1991. Mais comme d'autres exercices abandonnés par l'armée en temps de paix, il est désormais remis au goût du jour. Lors de la conférence de presse présentant "Alpha Uno" sur la base aérienne de Payerne, le brigadier Christian Oppliger, numéro deux des forces aériennes, soulignait l’importance de réintroduire des concepts militaires abandonnés depuis la fin de la guerre froide au vu de l'actuelle situation géopolitique en Europe.
Je suis prêt à faire mon métier jusqu'au bout
Depuis deux ans et le début de cette guerre, est-ce que les pilotes se sentent davantage sous pression? Pour le commandant de l’Escadrille 17, "Fondu", de son surnom, le fait que le contexte extérieur ait changé ne modifie pas en profondeur le travail et le quotidien des pilotes de l’escadrille. Et le sentiment de risques qui deviennent plus concrets en tant que pilote de chasse? La réponse d'"Igor" fuse, sans un clignement de paupières: "Je suis prêt à faire mon métier jusqu'au bout".
Mais si les menaces ont changé, les capacités des forces aériennes ont aussi évolué: il y a 50 ans, l'armée suisse possédait près de 500 avions contre 55 aujourd’hui. Elle a également perdu ses compétences d'attaque au sol. Et les conditions d'entraînement se sont durcies, notamment sur les questions de bruit. "Le bruit, c'est une question sensible", acquiesce le commandant "Fondu". "C’est pour cela que l'essentiel de nos entraînements se déroule à l'étranger."
"Une menace qui aurait pu venir"
Michel Perdrisat, 79 ans, a connu l'âge d'or des forces aériennes. Pilote militaire dans les années septante pour l'escadrille 17, la même qu"'Igor", il se souvient parfaitement de conditions de vol vraiment très souples… "A l'époque, on avait à peu près l'autorisation de tout faire": routes aériennes basses, plusieurs vols quotidiens par pilote. "La seule limite était de ne pas franchir le mur du son." En cas d'exercices de combats aériens, les pilotes se regardaient "les yeux dans les yeux". Une aviation "dangereuse", reconnaît Michel aujourd’hui.
En trente années de vols militaires, il a perdu soixante camarades. Mais le contexte, celui de la guerre froide, nécessitait selon lui de prendre des risques. "L'idée de l’ennemi était très concrète. Nous avons passé notre temps à nous entraîner pour contrer une menace qui n'est jamais venue. Mais elle aurait pu venir."
Reportage 15 minutes et rédaction web: Stéphane Deleury et Ariane Hasler