Dans le hall d'attente de l'Office des poursuites de la Broye, à Estavayer-le-lac (FR), des murs blancs immaculés, une moquette et une chaise pour attendre son tour. Une petite lumière passe du rouge au vert quand le guichet se libère. La sobriété est de mise. "Notre chef réfléchit à installer des vitres plus sécurisées", explique l'huissier Robin Tornare, "l'argent c'est quelque chose de très sensible". Lui-même a déjà été confronté à un débiteur en colère.
Au quotidien, les huissiers sont mandatés par l'Etat pour servir d'intermédiaires entre les créanciers et leurs débiteurs. Ils appliquent la loi et ont la charge des opérations d'exécution forcée pour régler les dettes.
La saisie à domicile
Parmi les "outils" dont ils disposent, les huissiers rendent visite au domicile des débiteurs, principalement pour évaluer leur situation financière. "La première fois que je suis allé en saisie, j'étais un peu nerveux parce qu'on ne sait pas à quoi s'attendre. On ne sait pas la réaction des gens, mais après, on s'habitue", raconte Robin Tornare.
Ce jour-là, l'un des débiteurs accueille l'huissier avec bienveillance, et un brin de fatalisme : "non, je n'ai pas de bien immobilier, il serait déjà à vous si c'était le cas". Mais malgré ses 10'000 francs d'arriérés d'impôts, le salaire de ce débiteur ne sera pas retenu : "en gagnant seulement 4000 francs nets, avec deux enfants à charge et votre épouse, je ne ferai pas de saisie", annonce Robin Tornare. Il termine sa visite par un tour de l'appartement : "on ne sait jamais, il y a peut-être un meuble Louis XVI", rigole-t-il. De manière plus réaliste, l'huissier explique que ce sont les voitures qui sont parfois saisies - quand la situation professionnelle le permet, puis revendues sur un site de vente aux enchères en ligne, car "tout le monde est gagnant si la valeur de vente est plus élevée au final".
Une profession mal aimée
Métier exposé à la détresse, à la colère ou aux tentatives de se soustraire à la loi, l'huissier navigue entre tact et fermeté. Il représente l'Etat et fait appliquer la loi au sens strict. "J'ai eu honte de venir à l'Office des poursuites", raconte cette épicière qui s'effondre en larmes dans le bureau de Robin Tornare. "Je ne juge pas les situations, je les comprends, mais je suis obligé de faire mon travail", commente l'huissier.
La formation d'huissier passe en général par un CFC, notamment d'employé de commerce. Il faut ensuite acquérir la base théorique, et les dispositions légales prévues par la Loi fédérale sur la poursuite pour dettes et faillite. Et parmi les cours pratiques divulgués dans les formations professionnelles, on enseigne la self-défense et les comportements à adopter en cas de menaces. "Les insultes, c'est notre quotidien. La violence physique est plus rare, mais il y a aussi les pneus crevés,ou des voitures démolies", raconte Pascal Lauber qui préside l'Association des huissiers fribourgeois.
La complexité de la profession pose également un problème de relève. A la question de savoir si les jeunes huissiers et huissières formés à Grangeneuve (FR) seront encore là dans vingt ans, Pascal Lauber répond : "j'ai un fort doute, il faut du courage. C'est quand même un métier qui use psychologiquement".
Cédric Guigon, Muriel Ballaman