L'objectif du Parlement est de pouvoir enfermer plus longtemps les jeunes qui semblent encore dangereux après avoir purgé leur peine. Actuellement, une personne commettant un crime avant ses 18 ans doit en effet être libérée à ses 25 ans, "quoi qu'il en soit", s'alarme le conseiller aux Etats (PLR/AR) Andrea Caroni, auteur de la motion à l'origine de ce changement.
"J'ai constaté une lacune de sécurité dans notre pays", affirme-t-il dans La Matinale de la RTS. La majorité des élus se sont donc ralliés à cette motion pour protéger la société. Selon eux, le fait que de nombreux délinquants soient récidivistes prouve que les peines existantes ne sont pas efficaces.
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Motion critiquée
Certains parlementaires sont toutefois opposés à cette mesure. La gauche et quelques élus du Centre la jugent inutile, car elle concerne très peu de jeunes. Ils critiquent aussi son coût, très important, alors que les places manquent déjà pour interner les adultes.
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Le bienfait de l'internement pour le jeune et la volonté de prédire sa dangerosité sont aussi remis en question. Olivier Boillat, président de l’Association latine des juges des mineurs, critique également une volonté de "créer une société avec un risque zéro, ce qui est tout simplement impossible". La motion a d’ailleurs été rejetée par tout le milieu de la justice pénale des mineurs.
On casse un tabou et ça, ça me fait peur
"Même si cette mesure ne concerne qu'un ou deux mineurs, pour ces mineurs-là, ce sera catastrophique, parce qu'ils seront d'abord enfermés, puis internés, sans traitement thérapeutique", s'inquiète Jonathan Rutschmann, docteur en droit pénal et chargé d'enseignement à l'Université de Genève. "Et il y a peut-être un jour où ils vont sortir. Et à ce moment-là, que sont-ils devenus?"
Fin d'un tabou
Certains redoutent également que les mineurs soient de plus en plus jugés comme des adultes. Pour Jonathan Rutschmann, cette nouvelle mesure serait "une porte ouverte à modifier toutes les dispositions du droit pénal des mineurs" . "On casse un tabou et ça, ça me fait peur", dit-il.
Actuellement, en Suisse, on ne juge pas l'acte criminel d'un mineur en tant que tel, mais la personne elle-même, en analysant comment le mineur est devenu délinquant, quel a été son parcours de vie, etc. Le droit des mineurs repose sur deux objectifs: chercher des mesures pour éduquer et protéger le jeune, parce qu'on estime qu'un adolescent est en pleine évolution. Le cerveau se développe jusqu'à 25 ans. Le potentiel de changement est donc très important.
Détection précoce
Les mineurs qui commettent des meurtres sont-ils aussi capables d’un tel changement? Les acteurs du terrain sont divisés sur la question. Pour la professeure de criminologie à la Haute école de travail social (HETS) de Fribourg Sandrine Haymoz, cette forme de délinquance est bien plus grave et ne se limite pas à l’adolescence. Un changement reste possible, mais seulement si ces cas sont détectés très tôt, par exemple à l’école, où se retrouvent tous les enfants.
"Si on regarde leur parcours, on va très souvent voir que durant leur enfance, ils avaient déjà des comportements brutaux ou déviants", explique Sandrine Haymoz. "Ils commençaient souvent des bagarres ou ont commis des actes de cruauté physique envers des animaux ou des personnes."
Nous partons du principe que le délit est le symptôme d'une souffrance
Ces troubles psychiatriques se manifestent ensuite généralement durant l'adolescence, entre 15 et 25 ans, indique Carole Kapp, médecin responsable des hospitalisations et urgences psychiatriques pour enfants et adolescents au CHUV. Ils sont généralement multifactoriels. Il existe une vulnérabilité génétique, mais l'environnement joue aussi un rôle majeur.
Rechercher les causes
Si ces profils n'ont pas pu être identifiés à temps, il existe toutefois encore une possibilité que ces jeunes comprennent la gravité de leur acte et se réinsèrent dans la société, estiment certains professionnels. "Nous partons du principe que le délit est le symptôme d'une souffrance", indique Alexandre Carillat, responsable de l'Unité d'assistance personnelle à Genève qui accompagne les jeunes délinquants sur mandat de la justice.
"On ne va pas forcément travailler le délit directement, mais on va chercher quelles sont les causes de l'expression de cette violence", poursuit-il. "Et on va travailler sur la gestion, de la violence par exemple, si c'est une tentative de meurtre."
Pour Jonathan Rutschmann, cette question de l'internement devrait aussi nous questionner plus largement sur la délinquance des jeunes, qui est aussi le reflet de notre société. "Quand on lit un fait divers, on imagine souvent que la victime va être notre enfant", affirme-t-il. "Et je pense qu'on gagnerait un petit peu à se demander: et si l'auteur de ce fait divers était mon enfant, comment aimerais-je qu'on le traite?"
Charlotte Frossard/edel