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"C'est dangereux pour la démocratie": Markus Häfliger déplore l'impact des coupes dans la presse romande

L'invité de La Matinale (vidéo) - Markus Häfliger, journaliste star de Suisse alémanique
L'invité de La Matinale (vidéo) - Markus Häfliger, journaliste star de Suisse alémanique / L'invité-e de La Matinale (en vidéo) / 14 min. / mardi à 07:35
Invité de La Matinale mardi, Markus Häfliger, ex-journaliste politique star en Suisse alémanique, revient sur les mesures d'économies incessantes annoncées dans la presse en Suisse, une des raisons qui l'ont poussé à quitter le journalisme. "En Suisse romande, on est arrivé à un point où c'est dangereux pour le fonctionnement de notre démocratie", déplore-t-il.

Markus Häfliger est probablement l'une des plumes les plus connues de Suisse. Après avoir étudié les relations internationales à Genève, il a fait ses premières armes dans la presse locale, à l'Aargauer Zeitung. Plus tard, il a rejoint la NZZ, puis le Tages Anzeiger où il occupait le poste de correspondant au Palais fédéral.

Journaliste suisse de l'année 2015, il collectionne, en deux décennies passées à Berne, les scoops politiques, parmi lesquels le scandale des signatures falsifiées dans le cadre d'initiatives populaires (lire encadré), l'une des plus importantes enquêtes de sa carrière, selon ses propres dires. "Parce qu'on relève un problème vraiment important au niveau de notre démocratie directe", souligne-t-il ce mercredi au micro de La Matinale. Ce qui constitue d'ailleurs, selon lui, l'une des missions principales du métier de journaliste.

Fatigué par les coupes incessantes dans la presse

Mais il s'agira probablement de sa dernière grande enquête. Il y a un peu plus d'un mois, Markus Häfliger a décidé de rendre son tablier, pour devenir responsable stratégique à l'Armée du Salut.

"Après 22 ans à Berne, je commençais à ressentir une certaine fatigue", confie-t-il. Avant de poursuivre: "Je n'avais plus envie de subir les coupes incessantes dans la presse en Suisse", et plus particulièrement celles du groupe pour lequel il travaillait, à savoir Tamedia. Il regrette notamment le coup de canif porté dans le pluralisme des opinions, engendré par "les programmes d'épargne qui se suivent", "les fusions de rédactions" et autres "concentrations".

>> Relire: : Tamedia annonce la fusion de trois rédactions romandes, 25 postes supprimés en Suisse romande

Une situation qui l'inquiète, tout particulièrement en Suisse romande. "En Suisse romande, on est arrivé à un point où c'est dangereux pour le fonctionnement de notre démocratie", déplore-t-il.

J'accepte le fait que les responsables de Tamedia doivent faire des coupes, parce qu'on a un problème de recettes dans notre métier. Mais leurs dimensions sont, à mon avis, exagérées.

Markus Häfliger, ex-journaliste politique star en Suisse alémanique

Certes, dans certains cas, la mise en commun des forces - en l'occurrence entre les rédactions romandes et alémaniques par la traduction d'articles notamment - peut se révéler pertinente, et permettre des économies. Mais les sensibilités différentes des deux côtés de la barrière de Rösti risquent à terme de ne plus être prises en compte, menaçant l'un des fondements sur lequel repose le bon fonctionnement de la Suisse, soit la démocratie directe, regrette-t-il.

"J'accepte le fait que les responsables de Tamedia doivent faire des coupes, parce qu'on a un problème de recettes dans notre métier. Les gens n'achètent plus de journaux, et la publicité se concentre de plus en plus sur Facebook ou Google", détaille-t-il. "Mais la dimension des coupes sont, à mon avis, exagérées. Il faudrait que l'entreprise retrouve un équilibre entre les intérêts de ses actionnaires, ceux des collaborateurs et ceux du grand public."

"Faire toujours plus, toujours plus vite, et avec toujours moins de bras"

Aujourd'hui, les journalistes, quel que soit leur média, doivent toujours faire plus, toujours plus vite, et avec toujours moins de bras. D'où une baisse de qualité des enquêtes, se désole-t-il. "Les journalistes n'ont plus le temps de s'investir dans des recherches compliquées, tout en ne sachant pas si elles vont aboutir. Et, au final, il y aura donc aussi moins de scandales politiques qui sortiront." Un problème en Suisse, au vu notamment de la place des lobbyistes dans le système politique, selon lui.

Il y a des communicants qui font leur travail de manière très responsable. Mais il y en a d'autres qui vont essayer de masquer les problèmes et ne pas être totalement transparents

Markus Häfliger, ex-journaliste politique star en Suisse alémanique

Markus Häfliger constate en outre que le nombre de communicants dans les administrations ou les entreprises privées ne cesse de grimper. Il s'agit même souvent d'anciens journalistes reconvertis qui connaissent parfaitement les rouages du métier et qui n'hésitent pas à mettre des bâtons dans les roues de leurs anciens collègues. "Il y en a qui font leur travail de manière très responsable. Mais il y en a d'autres qui, effectivement, vont essayer de masquer les problèmes et ne pas être totalement transparents", relève-t-il encore. D'où l'importance, encore une fois, des journalistes.

Propos recueillis par Delphine Gendre

Texte web: Fabien Grenon

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Markus Häfliger: "On a probablement voté sur des initiatives qui ont abouti grâce à des signatures falsifiées"

Dans sa carrière de journaliste, Markus Häfliger a toujours fait attention de ne pas devenir "copains comme cochons" avec les politiques. "En 22 ans, j'ai sûrement bu quelques verres avec certains d'entre eux, mais j'ai toujours fait attention. C'est comme dans un mariage, c'est un jeu entre distance et proximité. Et un peu de séduction aussi."

Ce qui ne l'aura pas empêché de sortir des dizaines, voire des centaines de scoops au cours de sa carrière. Le dernier en date, et sans doute le dernier, a mis en lumière le scandale des signatures falsifiées dans le cadre d'initiatives populaires. Une enquête dont il est, avec son collègue Thomas Knellwolf, très fier. "C'est une enquête très importante, si ce n'est la plus importante de ma carrière", se félicite-t-il mardi au micro de La Matinale. "On a probablement voté sur des initiatives qui ont abouti grâce à des signatures falsifiées", poursuit-il, ce qui constitue un problème très grave dans le système démocratique suisse.

A-t-il l'impression, avec ce genre d'enquête, d'avoir une influence sur la politique suisse? Markus Häfliger avoue ne s'être jamais vu comme un activiste. "Je suis un journaliste qui rapporte sur des choses importantes, souvent des choses que les politiques ne veulent pas raconter." Mais une fois le scoop sorti, c'est le devoir des politiques de prendre des décisions et améliorer les choses, conclut-il. Ce qui n'a pas encore été fait à Berne, selon lui, concernant l'affaire des signatures falsifiées.