Cinq ex-membres du Conseil fédéral s'opposent à la 13e rente AVS dans une lettre alarmiste

Il s'agit d'un fait rarissime en politique suisse: la plupart du temps, les membres du Conseil fédéral s'engagent à ne plus trop se mêler du débat politique après avoir quitté leurs fonctions. Et si les "transgressions" existent, elles ne prennent presque jamais une telle ampleur.

Cette semaine, plusieurs centaines de milliers de citoyennes et citoyens suisses, principalement des retraités alémaniques, ont reçu par la Poste une lettre alarmante. Le titre: "Appel urgent pour protéger notre AVS". On y lit que l'initiative des syndicats et de la gauche pour une 13e rente serait un projet "incendiaire" qui menacerait l'assurance-vieillesse.

Un geste qui trahit la "nervosité" du camp bourgeois

Le message est signé par Adolf Ogi (UDC), Doris Leuthard (ex-PDC) et Johann Schneider-Ammann (PLR). Une version française doit paraître sous forme de publicité dans plusieurs journaux avec deux signatures en plus, celles de Joseph Deiss (ex-PDC) et Pascal Couchepin (PLR). Cinq anciens ministres issus de partis bourgeois qui s'engagent donc avec virulence pour soutenir la position du gouvernement face à cette initiative.

Certains opposants à l'initiative parlent d'un "devoir" dû à la "gravité du danger". Car dans les deux camps, on s'accorde à dire que l'enjeu est élevé et que la course est serrée. Certains voient donc, dans ce geste, un signe de nervosité. À l'inverse de la plupart des initiatives populaires, les sondages montrent que cette 13e rente AVS a des chances de l'emporter le 3 mars prochain.

Selon Pascal Couchepin, il s'agirait aussi d'expliquer un enjeu "difficile à comprendre" pour pousser la population à "prendre une décision valable pour l'avenir". "Un problème de cette importance (...) est assez rare", estime-t-il dans le 19h30 de la RTS.

Par ailleurs, on est au point culminant de la campagne. Beaucoup de gens reçoivent cette semaine leurs enveloppes de vote. C'est donc un moment logique pour mettre le gros des forces dans la bataille. D'ailleurs, en guise de réponse, la gauche a sorti la "carte" Ruth Dreifuss, une autre ancienne conseillère fédérale déjà coutumière des interventions mais qui multiplie désormais les interviews pour défendre la 13e rente AVS.

Démarche critiquée même à droite

La démarche des cinq ex-conseillères et conseillers fédéraux pourrait être à double-tranchant. Les syndicats ont tout de suite réagi en dénonçant un discours de peur, insensible à la précarité de certains retraités; mais aussi des arguments d'autorité malvenus de la part de cinq retraités qui touchent, eux, une rente à vie très confortable.

"Il y a un peu d'indécence, quand on gagne une rente de 23'000 francs par mois, de vouloir expliquer au peuple qu'il doit se priver d'une rente qui vaut 2000 francs", a ainsi réagi le socialiste Pierre-Yves Maillard mercredi matin dans La Matinale.

>> Voir son interview complète : "J'ai plus peur de voir le ciel me tomber sur la tête que l'AVS faire faillite", déclare Pierre-Yves Maillard

Et au sein même du camp bourgeois, les avis sont partagés. Le centriste Benjamin Roduit trouve la lettre tout à fait pertinente, tandis que son collègue du PLR Olivier Feller estime que la démarche est contre-productive. De manière générale, il juge d'un mauvais oeil les apparitions des ex-conseillers fédéraux.

Mais la loi n'impose aucun "devoir de réserve" aux ex-membres du gouvernement, et la devise "servir et disparaitre" est à géométrie variable. Certains la pratiquent encore dur comme fer, tandis que d'autres s'expriment régulièrement sur différents sujets d'actualité politique.

>> Voir aussi les explications du 19h30 :

Etienne Kocher/jop