Cinq moments suisses qui ont marqué les Jeux olympiques
Juliette May et Mathilde Salamin
Hélène de Pourtalès
Première femme médaillée olympique de l’histoire
La toute première championne olympique de l’histoire s'appelle Hélène de Pourtalès. Lors des Jeux de 1900 à Paris, la Vaudoise d'origine remporte l’or et l'argent aux régates mixtes de voile.
Hélène de Pourtalès appartient à la haute bourgeoisie. "À partir des années 1870, sur les rivages du lac Léman, et plus particulièrement à Genève, ce milieu a pour habitude de faire de la voile. C'est une occupation noble", note Christophe Vuilleumier. L’historien consacre une partie de ses recherches à la navigatrice née en 1868. Récemment, il a découvert que l'empereur d'Allemagne Guillaume II avait commandé un bateau de course au frère d'Hélène, Henri Gaston Barbey.
La navigation est donc une tradition familiale chez les Barbey. Pendant les Jeux de 1900, Hélène de Pourtalès fait d'ailleurs équipe avec son mari Hermann et son neveu Bernard. "À cette époque, les femmes sont autorisées à participer, mais quand même sous l'œil masculin", précise Florence Carpentier, historienne du sport et maîtresse de conférence à l'Université de Rouen.
Après son succès olympique, Hélène de Pourtalès se retire des grandes compétitions et continue à participer à des régates locales sur le lac Léman. Son nom s'efface alors progressivement, laissant place à de nouvelles championnes et champions olympiques.
Alex Diggelmann
Médaillé pour son travail de graphiste
Les Jeux olympiques sont la manifestation sportive par excellence. Pourtant, de 1912 à 1948, des concours de littérature, peinture, sculpture, architecture et musique faisaient aussi partie du programme.
Les œuvres présentées avaient toutes un lien avec le sport et l’olympisme. Le graphiste bernois Alex Diggelmann a particulièrement marqué ces concours artistiques. Le Bernois, né en 1902, est l'un des rares à avoir remporté trois médailles.
On ne peut pas dire qu'Alex Diggelmann a influencé le graphisme suisse, mais il a en tout cas influencé l'affiche sportive
Jean-Daniel Clerc, vendeur d'affiches anciennes à Genève depuis plus de 40 ans, connaît bien son travail: "Il dessine surtout de très belles scènes de montagne. Il aime beaucoup le bleu et le blanc. Pour la neige, c'est idéal".
En 1936, Alex Diggelmann décroche une médaille d’or à Berlin pour une affiche de promotion de la station d’Arosa, dans les Grisons. Douze ans plus tard, lors des Jeux de 1948, le graphiste alémanique remporte deux autres médailles pour des affiches de hockey et de cyclisme. Sur cette dernière, il dessine un cycliste en pleine vitesse, "hyper stylisé dans le style suisse international". "Ce dessin deviendra le logo de l'Union cycliste internationale", précise Jean-Daniel Clerc.
Les concours d’art sont initiés par le fondateur des Jeux olympiques modernes, Pierre de Coubertin. Il espère ainsi promouvoir un idéal d'"homme complet", capable de briller à la fois dans les sports et les arts, explique Julie Gaucher, chercheuse associée au laboratoire L-Vis de l’Université Lyon 1.
Toutefois, ces concours sont complexes à organiser. Ils prennent fin en 1948. "De plus, les artistes médaillés olympiques bénéficiaient de retombées financières, ce qui contrevenait à la logique d'amateurisme du CIO", ajoute Julie Gaucher.
Aujourd'hui, bien que ces concours n'existent plus, le lien entre art et sport perdure: les Jeux stimulent la vie culturelle des villes hôtes. A Paris, cette année, de nombreux musées ont organisé des expositions consacrées au sport.
Le boycott de 1956
Une prise de décision qui divise
Boycottera ou boycottera pas? À trois semaines de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de 1956 à Melbourne, la Suisse débat d'un possible boycott.
En cause, l'invasion de la Hongrie par l'URSS. L'événement provoque de vives réactions, en particulier dans les milieux sportifs suisses alémaniques, où l'anticommunisme est fort.
Du côté suisse romand, on préférerait éviter le boycott pour deux raisons: la préservation des bonnes relations avec le Comité international olympique (CIO) et la protection des intérêts économiques. "S'il y avait un boycott suisse, cela risquait de mettre à mal la possibilité pour l'industrie horlogère suisse de chronométrer sur le long terme les Jeux olympiques", relève Quentin Tonnerre, vice-président de l’Observatoire du sport populaire et auteur d’une thèse de doctorat sur l’histoire de la diplomatie suisse.
À cette situation déjà complexe s'ajoute la crise du canal de Suez et les tensions internationales qui en découlent. Ce conflit a des conséquences indirectes sur la participation de la Suisse aux Jeux de Melbourne: les avions prévus pour aller en Australie ne sont plus disponibles, car la diplomatie suisse les a prêtés à l'ONU.
Ainsi, sans avion pour transporter ses athlètes, la Suisse renonce à participer aux Jeux olympiques de 1956. Une décision influencée par des considérations politiques, économiques et logistiques.
Gabriela Andersen-Schiess
Fin de marathon douloureuse
Le 5 août 1984, l’athlète zurichoise Gabriela Andersen-Schiess termine le premier marathon féminin olympique de l’histoire dans un état de déshydratation extrême. Les images de son arrivée font le tour du monde.
Pour le réalisateur et historien du sport Pierre Morath, cet événement revêt plusieurs symboliques: "Ça devient quelque chose d'à la fois admirable, tragique, mais qui pourrait aussi être potentiellement repris comme argument pour les opposants à la participation féminine".
Finalement, il n’en est rien. Cet épisode donnera même aux femmes "le droit, comme pour les hommes, d'être épuisées en public", analyse l’historien. C’est un véritable changement de paradigme, car au début des années 1980, les femmes se battent encore pour leur droit à courir. La Fédération internationale d'athlétisme leur interdit en effet toujours les courses de plus de 1500 mètres.
La femme qui court faisait encore peur à beaucoup de monde
Certains médecins évoquent des raisons médicales: risque d’infertilité, descente de l'utérus, etc. "La femme qui court faisait encore peur à beaucoup de monde", ajoute Pierre Morath.
"En les empêchant de courir, les fédérations sportives tentent surtout de freiner leur désir d'émancipation", complète celui qui a réalisé le documentaire sur la course à pied Free to run. En 1984, grâce aux efforts des pionnières et aux mouvements féministes, le marathon féminin devient une discipline olympique.
Donghua Li
Parti de Chine, il remporte l’or pour la Suisse
L'hymne suisse retentit et les larmes de Donghua Li coulent sur ses joues. Nous sommes en 1996, l’athlète remporte la médaille d’or au cheval d’arçons aux Jeux olympiques d’Atlanta. Interdit de concourir pour la Chine, son pays natal, Donghua Li offre ce jour-là à la Suisse sa première médaille olympique dans cette discipline depuis 1928.
L'histoire de Donghua Li captive les médias dès le début. En 1988, sur la place Tian'anmen à Pékin, une touriste suisse lui demande son chemin. C'est le début d'une histoire d'amour. Il s'épousent et quittent la Chine un an plus tard pour s'installer dans le canton de Lucerne.
Cette décision coûte cher à Donghua Li. "En 1988, quand je me suis marié en Chine, on m'a dit 'tu épouses une Suissesse, alors tu es définitivement exclu de l'équipe nationale' ", raconte-t-il dans l'émission Temps présent, en 1997.
Selon Grégory Quin, historien à l'Université de Lausanne et spécialiste de l'histoire des sports en Suisse, l'âge de Donghua Li a également joué un rôle. "À la fin des années 1980, il a près de 25 ans et commence à devenir trop vieux pour faire de la gymnastique avec la Chine. On commence à lui montrer la porte de sortie."
Lorsque Donghua Li arrive en Suisse, le monde de la gymnastique est en pleine transition. Grégory Quin explique: "Macolin dédie une salle intégrale à l'entraînement des meilleurs athlètes en gymnastique artistique et en gymnastique rythmique".
Malgré ses succès aux Championnats suisses, Donghua Li ne peut pas obtenir le titre de champion faute de passeport. Il souffre aussi de ne pas être accepté par les athlètes suisses.
Finalement, Donghua Li obtient enfin le passeport rouge à croix blanche en 1995. Il peut désormais représenter son pays d'adoption. Un an plus tard, il remporte la médaille d'or olympique au cheval d'arçons.