Imaginons: Lucy et Kevin vivent à Fribourg, en concubinage, avec leurs deux enfants. Ils gagnent chacun 75'000 francs par an et n'ont pas de fortune. S'il leur prend l'envie de se marier, il faudra aussi se préparer à passer à la caisse. Selon les estimations effectuées à l'aide des calculateurs de la Confédération, il leur en coûtera plus de 3000 francs.
Il s'agit ici d'un calcul théorique. Il est très difficile de simuler et généraliser les situations fiscales. D'innombrables facteurs peuvent changer la donne. Mais selon les barèmes en vigueur et avec les déductions minimales standards, le constat est sans appel.
Cette "pénalisation" du mariage s'avère assez systématique, dès lors que les revenus sont équitablement répartis entre les deux partenaires. En effet, les revenus sont alors cumulés pour décider du barème à appliquer. Selon un principe de solidarité, celui-ci est progressif: plus les revenus sont élevés, plus le pourcentage prélevé est important.
Les époux à un seul revenu avantagés
Prenons maintenant un autre exemple théorique: Monica et Philippe, officiellement unis, vivent à Neuchâtel. Ils n'ont pas d'enfant et un seul des deux travaille, pour un revenu brut annuel de 80'000 francs. Grâce à leur statut marital, ils économisent plus de 4500 francs.
Dans une telle configuration familiale, le résultat est systématiquement favorable aux époux, quel que que soit le canton ou le niveau de revenu.
Des différences cantonales
Il existe tout de même quelques différences entre cantons. Le Valais pénalise moins les époux sans enfant qui travaillent tous les deux. Pour des salaires cumulés inférieurs à 175'000 francs, le changement d'état civil peut même s'avérer rentable à l'heure de remplir la déclaration.
A l'inverse, les parents en union libre sont fiscalement privilégiés à Genève, Fribourg et dans le Jura. La différence peut dépasser 2000 francs dès lors que les conjoints perçoivent des revenus équivalents dont la somme dépasse 100'000 francs.
Des inégalités débattues au niveau politique
Dans un rapport de 2022, l'Administration fédéral des contributions (AFC) a démontré l'étendue du problème, qualifié de contraire à la Constitution par le Tribunal fédéral en 1984 déjà. Elle a étudié les prélèvements fédéraux sur les revenus de 1,76 million de couples mariés. Les trois quarts d'entre eux présentaient un gain ou une perte fiscale d'au moins 10%, simplement en raison de leur situation conjugale.
L'AFC a toutefois estimé que les montants en jeu étaient souvent peu élevés, en dessous de 100 francs. Néanmoins, cette inégalité est ensuite cumulée à celle sur les impôts cantonaux et communaux. Avec, à l'arrivée, d'importantes disparités entre les contribuables concubins et ceux qui ont officialisé leur union.
Depuis que les modèles familiaux ont commencé à se diversifier, ces différences fiscales occupent le monde politique. Des propositions sont sur la table, pour gommer ces inégalités, tant au niveau fédéral que cantonal et communal. Le Conseil fédéral soutient une imposition distincte pour chaque époux, comme le demande une initiative populaire lancée par les Femmes PLR. La gauche soutient ce projet, tant que les baisses de rentrées fiscales sont limitées. A l'inverse, l'UDC et le Centre refusent que l'initiative pénalise le couple traditionnel, à un seul revenu. Les débats se poursuivent au Parlement.
Tybalt Félix, avec Romain Carrupt