Le premier contact se fait par les sites de rencontres ou par les réseaux sociaux comme Facebook et Instagram. Mais aussi par mails et à travers les jeux en ligne, explique l'anthropologue Valentina Peri dans l'émission Tout un monde. La chercheuse est allée à la rencontre de ces arnaqueurs aux sentiments et en a écrit un livre "Le brouteur galant, manuel de l'arnaqueur sentimental".
Après cette première prise de contact, "ils commencent à envoyer des messages très fréquemment dans la journée". C'est ce que l'on appelle le "love bombing", une technique manipulatrice qui consiste à "bombarder d'amour" la victime, en la rassurant et en lui faisant des promesses. L'objectif est que "la victime s'ouvre aux escrocs", souligne Valentina Peri.
De très jeunes hommes
Les escrocs se cachent derrière des identités volées, "des profils internet, des photos et vidéos, voire des mannequins, des influenceurs", relève l'anthropologue. Les brouteurs et leurs clients ne se voient jamais, donc "cette relation, qui peut durer des années, se passe virtuellement".
Il y a toute une économie liée aux arnaques aux sentiments
Ces faux princes charmants du net dépouillent en grande majorité des femmes occidentales d'une cinquantaine ou soixantaine d'années, mais les escrocs sont souvent bien plus jeunes que leurs victimes, "ils peuvent même être à l'école primaire", explique l'anthropologue. "Les profils types sont, souvent, des jeunes issus de quartiers défavorisés, notamment à Abidjan, la plus grande ville de Côte d'Ivoire, où chaque quartier a une sorte de spécialisation d'arnaques spécifiques", ajoute-t-elle.
Les brouteurs s'affichent avec l'argent escroqué
Alors que les victimes peuvent perdre plusieurs centaines de milliers de francs, l'objectif pour les brouteurs est ensuite d'afficher leur fortune lors de soirées festives. Ils le dépensent à travers l'alcool ou en le lançant sur les DJs "parce qu'il y a un lien très fort entre le broutage et la musique", indique Valentina Peri. Elle ajoute: "Il y a toute une économie, un lifestyle" lié à cette arnaque aux sentiments.
Les autorités ont commencé à mener la guerre contre les brouteurs, pour redorer le blason de la Côte d'Ivoire
Face à la situation, les autorités ivoiriennes prennent des mesures. Selon Ettien Franck-Stéphane Adou, chercheur à l'Institut universitaire d'Abidjan, le broutage n'était pas la priorité du régime au début des années 2000, les frontières étant menacées.
"Les jeunes gens qui rapportaient de l'argent, qui le donnait à des DJs, qui s'amusaient en ville, ce n'était pas la priorité". Mais au fur et à mesure, le phénomène "a eu un impact sur la notoriété de la Côte d'Ivoire. On était blacklisté sur plusieurs réseaux, les autorités ont mis en place une législation", explique-t-il. Des plateformes de lutte ont été créées et les autorités "ont commencé à mener la guerre contre les brouteurs, pour redorer le blason de la Côte d'Ivoire".
Une dimension mystique
Aujourd'hui, la population ivoirienne se méfie des brouteurs, assure Ettien Franck-Stéphane Adou. Pourtant, dans les années 2000, lorsque ces arnaques ont commencé, les Ivoiriens et Ivoiriennes étaient plutôt favorables à la pratique, précise-t-il. "Il y avait un champ lexical de gloire, de grandeur et richesse. Brouteur était un marqueur social très fort à l'époque, jusqu'en 2010", indique le chercheur.
Il ajoute qu'il y a eu une "stigmatisation des brouteurs de la part de la population lorsque le broutage a été associé aux sacrifices humains, à une dimension mystique". Une dimension mystique qu'on appelle le zamou, ou attachement.
Ils ont recours à des pratiques occultes avec l’aide de marabouts pour retirer tout sens critique aux victimes de broutage et les inciter à vider leur compte en banque. "Lorsque le brouteur demande de l'argent à la victime, elle n'est plus en mesure de dire non, car elle est prise d'une frénésie mystique à accepter".
Une dimension omniprésente dans le broutage. "Désormais, compte tenu de la législation en place et de la répression dans les esprits des gens, il est impossible d'avoir autant d'argent si on ne passe pas par des pratiques mystiques", conclut Ettien Franck-Stéphane Adou.
Sujet radio: Elio Sottas
Adaptation Web: Lucie Ostorero
Et en Suisse?
Le problème des arnaques aux sentiments est bien réel. Une campagne de sensibilisation nationale aura lieu en mars 2025. Les victimes ont souvent honte de témoigner, ce qui rend plus compliqué le travail de la police, relève Béatrice Kübli, responsable du projet à la Prévention suisse de la cybercriminalité.