C'est l'une des exploratrices les plus réputées de Suisse. Nommée aventurière du prestigieux National Geographic en 2013, Sarah Marquis sillonne depuis plus de 20 ans le monde à pied et en solo, souvent dans des conditions de survie extrême.
Australie, Sibérie, Tasmanie, chacune de ses expéditions a été médiatisée. Et dans ses livres, la Jurassienne raconte avec force et détails ses aventures. Mais un témoignage vient jeter le trouble.
Sarah Marquis qui dit tant aimer les cartes n'en montre jamais (...) ni le trajet prévisionnel, ni le trajet fini
Contacté par l'émission Vraiment de la RTS, l'explorateur belge Louis-Philippe Loncke, prix de l'Aventurier européen comme Sarah Marquis, est le premier à émettre des doutes. "Sarah Marquis qui dit tant aimer les cartes n'en montre jamais (...) ni le trajet prévisionnel, ni le trajet fini", déclare-t-il.
Pour lui, que ce soit en politique ou dans le sport et l'aventure, à partir du moment où on a une certaine autorité, "on se doit d'être transparent".
"J'ai un traqueur aux fesses"
En 2010, après avoir reconnu un mensonge lors son expédition à pied dans les Andes, Sarah Marquis s'était engagée à être plus transparente lors de ses prochaines expéditions.
"Aujourd'hui, c'est différent, on peut me suivre quasiment pas à pas", avait-elle alors déclaré à 24 Heures (24.10.2010), en ajoutant quelques années plus tard: "Désormais, j'ai un traqueur aux fesses" (Le Point, 26.07.2017).
Désormais, j'ai un traqueur aux fesses
Selon les vérifications de la RTS, Sarah Marquis dispose bien d'un traqueur GPS, mais ses données ne sont pas accessibles en ligne, à la différence d'autres explorateurs comme Mike Horn ou Louis-Philippe Loncke, qui publie ses positions précises toutes les trente minutes.
Refus de transmettre ses coordonnées GPS
Contactée, Sarah Marquis a refusé de transmettre les données GPS de ses trois dernières expéditions. Elle explique traverser des régions très dangereuses et dit craindre pour la sécurité de ses "potentiels imitateurs".
"Sarah Marquis fait passer la sécurité avant tout", justifie son ami et porte-parole Andreas Bantel à la RTS. Toutefois, l'équipe de Sarah Marquis reconnaît que la transparence est importante. "Elle respecte le souhait du public de voir l'itinéraire de son expédition et évalue actuellement la possibilité de publier les données du tracker sous une forme qui ne stimule pas d'éventuels imitateurs", précise son avocat Andreas Meili.
Sarah Marquis fait passer la sécurité avant tout
Depuis la Tasmanie, son amie Leslie Frost, qui a participé à l'organisation de son expédition et aux ravitaillements, garde un souvenir ému de sa rencontre avec l'aventurière suisse: "Sarah Marquis est un modèle et une source d'inspiration. J'ai trouvé ça merveilleux qu'elle veuille essayer de traverser cette région de notre pays."
Pour elle, ça ne fait aucun doute que Sarah Marquis a effectué son itinéraire "off track", c'est-à-dire hors des sentiers battus. "Je suis assez sûre que la plupart du temps, elle n'était pas sur les pistes", se souvient Leslie Frost.
La moitié de son itinéraire sur des pistes balisées
Afin de vérifier son itinéraire, la RTS a géolocalisé des photos publiées par Sarah Marquis sur les réseaux sociaux lors de son expédition de 2018 en Tasmanie. Dans son livre "J'ai réveillé le tigre", Sarah Marquis raconte avoir traversé "des zones inextricables où seuls les animaux se sont aventurés". La page de couverture fait également mention d'une "épreuve initiatique dans l'Ouest inexploré".
Pourtant, la majorité des photos et vidéos publiées par Sarah Marquis ont été géolocalisées à proximité directe de chemins de randonnée officiels et fréquentés. Interrogé sur ce point, Andreas Bantel, porte-parole de Sarah Marquis, se défend de toute volonté de tromper le public.
Sarah Marquis ne s'est jamais considérée comme une sportive de l'extrême
"Sarah Marquis est une aventurière passionnée, c'est une ambassadrice de la nature. Elle veut donner à ses lecteurs et lectrices les clés du monde des animaux sauvages et du monde de la flore sauvage. Mais elle ne s'est jamais considérée comme une sportive de l'extrême", explique-t-il.
Son équipe reconnaît que certains chemins empruntés par l'aventurière sont des itinéraires fréquentés par des touristes sportifs, mais précise: "Ces chemins l'emmènent en fait vers les endroits les plus intéressants, à savoir les régions très sauvages. Cela représente environ la moitié de la distance totale parcourue."
Cela devient de la randonnée difficile dans des terrains qui restent hostiles, mais par rapport à de l'off track, c'est complètement autre chose
Une proportion qui interroge l'aventurier belge Louis-Philippe Loncke: "Cela devient de la randonnée difficile dans des terrains qui restent hostiles, mais par rapport à de l'off track, c'est complètement autre chose." Ce dernier pointe la facilité accrue de suivre une piste par rapport à de l'exploration, car il n'y a pas besoin de s'orienter et de sortir sa carte ou son GPS en permanence pour trouver son chemin.
Supercheries sur une mission scientifique
L'enquête de la RTS révèle un autre point de divergence entre le récit de Sarah Marquis et les vérifications des journalistes. Lors de son expédition en Tasmanie, l'aventurière explique avoir effectué des prélèvements quotidiens pour le CSIRO, l'agence nationale scientifique australienne.
Mais après plusieurs semaines de recherches, le CSIRO a confirmé un seul élément. "Mme Marquis était en communication par courriel avec un employé du CSIRO dans le cadre d'un projet de science citoyenne avec l'Atlas of Living Australia qu'elle a mené lors de son séjour en Australie en 2018", déclare sa porte-parole, en confirmant l'absence de rencontre avec l'aventurière ou son équipe.
De son côté, Sarah Marquis explique avoir participé de manière bénévole au programme citoyen ATLAS, dont le but était de recenser les animaux sauvages, et avoir pris des photos de traces d'animaux pour ce projet. "Il s'est avéré que ces traces venaient essentiellement d'animaux très répandus et donc malheureusement, c'était moins spectaculaire qu'on aurait pu l'espérer", explique son porte-parole. Sarah Marquis n'aurait selon son équipe pas téléchargé les données récoltées lors de son expédition dans la base du CSIRO.
"Je pense qu'il y a un malentendu sur le rôle de Sarah Marquis: c'est une ambassadrice de la nature et non une sportive de l'extrême ou une scientifique", ajoute Andreas Bantel qui écarte toute comparaison avec Ueli Steck ou Mike Horn.
"C'est parole contre parole"
Dernier point de vérification: le tigre de Tasmanie. Dans son livre, Sarah Marquis raconte avoir aperçu de manière furtive un tigre de Tasmanie lors de son expédition. "Je t'ai aperçu aujourd'hui, ça me réchauffe le cœur de te savoir proche et en vie", écrit-elle.
Pour Olivier Glaizot, conservateur en chef du Muséum des sciences naturelles de Lausanne, cette observation n'est pas isolée. Plusieurs centaines de témoignages, à ce jour non vérifiés, vont dans le même sens. Mais pour lui, le dernier tigre de Tasmanie étant mort en captivité en 1936 et l'espèce ayant été déclarée éteinte, cette observation est "possible, mais hautement improbable".
Alors Sarah Marquis a-t-elle enjolivé son récit? A cette question, son porte-parole est très clair: "Personnellement, je n'étais pas présent. Mais elle ne prétend pas avoir une preuve de cet animal. Je pense qu'il n'y a pas de preuve qu'une espèce animale ait disparu. Tout comme Sarah Marquis ne peut pas non plus présenter de preuve de cet animal. En fin de compte, c'est parole contre parole."
Pour Luke Frost, le dessinateur qui a réalisé les croquis du livre de Sarah Marquis sur la Tasmanie, il y a un malentendu: "Si j'ai bien compris, le titre faisait référence à la détermination qu'elle a trouvée en elle, lorsqu'elle s'est cassé l'épaule. Je crois qu'elle a dit qu'elle avait trouvé le tigre en elle".
Cécile Tran-Tien
Une "aventurière au service de la science", selon le National Geographic
Dans un article paru en août 2018, Sarah Marquis est présentée comme "l'aventurière au service de la science". Elle déclare alors avoir réalisé des relevés sur la biodiversité et des "collectes d'excréments, enregistrements audio" pour le CSIRO.
Contacté, le National Geographic a répondu à la RTS que cet article "aurait été vérifié par l'équipe éditoriale", mais qu'il n'est pas en mesure de confirmer "quel était le processus de vérification exact" car l'équipe qui a travaillé sur cet article "ne fait plus partie de la société".