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Délais sur les anticancéreux: "Pour certains patients, il sera trop tard"

La facture des médicaments contre le cancer a atteint un record en 2023 : 1,55 milliard de francs à la charge des assurances
La facture des médicaments contre le cancer a atteint un record en 2023 : 1,55 milliard de francs à la charge des assurances / 19h30 / 2 min. / le 19 avril 2024
La facture des médicaments contre le cancer a atteint un nouveau sommet: 1,55 milliard en 2023. En réaction, la Confédération a placé les nouveaux traitements sous la tutelle des assureurs, occasionnant des délais parfois longs. La santé des patients en pâtit directement.

Vous allez chez votre médecin qui vous découvre une infection. Il vous fera une ordonnance permettant de vous procurer dans l'heure le produit nécessaire à votre guérison. Si un spécialiste diagnostique un cancer chez un patient, il détermine quel médicament lui donnera les meilleures chances face à la maladie. Pas question toutefois de commencer immédiatement les soins.

Il faudra d'abord demander au médecin-conseil de l'assurance de valider le remboursement, même si le traitement est explicitement prévu pour le cancer identifié. Il s'ensuit alors une attente qui peut durer jusqu'à six semaines, avant de démarrer la prise en charge. Face à la hausse des tarifs, de plus en plus de traitements oncologiques sont soumis à l'approbation des assureurs.

"On a un patient qui se sait atteint d'une maladie mortelle, qui attend fébrilement un traitement mais rien ne se passe", explique Solange Peters, cheffe du service d'oncologie médicale du CHUV. Ces situations, les spécialistes du cancer en voient défiler plusieurs chaque jour de consultation.

De plus en plus de soins "sous tutelle" des assureurs

Les cas se multiplient. La RTS a analysé la liste des spécialités en 2020 et en 2024. Cette liste regroupe tous les médicaments remboursés et précise à quelles conditions. Le nombre de principes actifs contre le cancer soumis à cette tutelle complète des assureurs est passé de 53 à 91. Les molécules et préparations les plus récentes, synonymes de nouveaux espoirs, sont concernées en premier lieu.

L'accès aux soins est-il touché? Les refus arrivent, mais sont rares, selon les spécialistes que nous avons consultés. Il faut parfois reprendre le dialogue avec les médecins-conseil pour débloquer la situation. Pour l'Office fédéral de la santé publique (OFSP), cette procédure est indispensable: "il est possible d'agir de manière toujours plus spécifique sur la tumeur individuelle de chaque patient. Ces thérapies nécessitent toutefois des contrôles accrus par le biais d'une garantie de prise en charge des coûts après évaluation par le médecin-conseil".

Pierre-Yves Dietrich, oncologue aux Grangettes à Genève, est très critique de ce fonctionnement. "C'est un système désuet. En oncologie, il y a chaque année des dizaines de nouvelles molécules, des nouvelles indications, des combinaisons de traitements. Le seul outil du médecin-conseil, ce sont des listes, jamais à jour, à cause de la rapidité des innovations. On est, en plus, face à un conflit d'intérêts majeur, le médecin-conseil étant employé par l'assurance."

Entre deux et six semaines de délai, cela signifie que la maladie aura progressé. Pour certains patients, il sera même trop tard pour commencer le traitement 

Solange Peters, cheffe du service d'oncologie médicale du CHUV

Impossible d'obtenir des statistiques sur les décisions des assureurs. Il n'existe aucune donnée qui mesure l'impact des délais sur la santé des malades. Les médecins constatent toutefois que l'attente est très difficile à vivre pour les patients. Elle peut même aggraver leur état. "Entre deux et six semaines de délai, cela signifie que la maladie aura progressé. Pour certains patients, il sera même trop tard pour commencer le traitement" confie Solange Peters.

Qu'est-ce qui justifie ce contrôle du travail de médecins sur le terrain? "En retardant les traitements, en réduisant leur espérance de vie, il y aura une économie de médicaments. Mais c'est une économie non souhaitable selon le serment d'Hippocrate, sur le dos des patients" estime la spécialiste du CHUV. De plus, elle relativise ces économies. "Du côté des soignants, cela implique du personnel, du temps de travail pour rédiger les documents, simplement en copiant des phrases de la liste des spécialités. C'est un travail inutile et coûteux pour le système de santé."

Coûts hors de contrôle

Comment en est-on arrivé là? Depuis des années, les autorités sanitaires tentent, en vain, de reprendre le contrôle des coûts de la santé. Les anticancéreux et leurs tarifs mirobolants sont directement concernés.

Leur charge sur les primes des assurés augmente cinq fois plus vite que l'ensemble des coûts. Entre 2015 et 2022, elle s'est envolée de 123%, selon des données fournies par Curafutura, association faîtière des assureurs maladie. Les médicaments oncologiques coûtent désormais plus de 175 francs par an à chaque assuré.

La situation pourrait encore s'aggraver. Ainsi, le premier anticancéreux dont le prix annuel dépasse le million de francs a fait son apparition en Suisse. Nommé Elzonris, il est, à ce jour, réservé au traitement d'un cancer du sang rare et fatal le plus souvent.

La pharma a beaucoup trop de pouvoir et n'est pas maîtrisée par les politiques.

Brigitte Crottaz, conseillère nationale et médecin

Brigitte Crottaz est conseillère nationale et médecin. Elle juge très sévèrement les pratiques des entreprises pharmaceutiques. "Elles fixent des prix déraisonnables, sans aucune transparence. Comme ces médicaments sont porteurs d'espoir, ils sont acceptés."

La socialiste ne se montre pas plus tendre vis-à-vis des institutions politiques dont elle fait partie: "la pharma a beaucoup trop de pouvoir et n'est pas maîtrisée par les politiques".

Constat d'échec

En 2019, Brigitte Crottaz a accepté, comme la majorité du Parlement, une proposition du Conseil fédéral visant le "renforcement de la qualité et de l'économicité" des soins. Le texte prévoit notamment "l'accord du médecin-conseil" pour les mesures "particulièrement coûteuses".

Elle est aujourd'hui critique de cette décision. "On a voté quelques mesurettes, parce que les propositions vraiment efficaces sont systématiquement refusées par la majorité du Parlement. Dans la pratique, ces limitations donnent beaucoup de travail aux médecins des hôpitaux et n'est pas efficace pour maîtriser les coûts. Elles n'atteignent pas les buts souhaités".

Les règles du marché gouvernent la fixation des prix des traitements. Elles pénalisent les patients. Il faut s'attaquer à ça.

Pierre-Yves Dietrich, oncologue, ancin chef du département oncologie aux HUG

Interrogé, l'OFSP estime que d'éventuelles économies "grâce aux garanties de prise en charge" ne sont "pas mesurables". L'office annonce même qu'il "ne s'attend pas à des économies considérables". Une affirmation étonnante, en regard des effets sur les patients et le système de santé. Pour l'oncologue Pierre-Yves Dietrich, qui a été chef du département oncologie aux HUG, il faut désormais traiter le problème à sa source. "Les règles du marché gouvernent la fixation des prix des traitements. Elles pénalisent les patients. Il faut s'attaquer à ça".

Tybalt Félix, avec Alexandra Richard

Information traitée dans La Matinale du 19 avril 2024

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Top 10 des remboursements

Selon des données fournies par Curafutura, deux traitements ont coûté, à eux seuls, près de 300 millions de francs en 2023: le Keytruda et le Darzalex. Pour un patient, sur une année, ils coûtent respectivement 80'000 et 120'000 francs. Arrivés sur le marché suisse ces 10 dernières années, ils incarnent une hausse des tarifs que rien ne semble enrayer.