Des "pesticides cosmétiques" pour rendre les pommes plus belles et éviter le gaspillage
Les pommes occupent une place importante dans les cœurs et les paniers des consommatrices et consommateurs suisses. En moyenne, les Suisses mangent un peu plus de 100 pommes par an, selon l'Union suisse des fruits (FUS).
Ce que beaucoup ignorent, c'est que des hormones de croissance végétales sont souvent pulvérisées sur leur fruit préféré. L'objectif est d'améliorer la taille et la couleur. Quelque 300 kilos de ces produits chimiques, également appelés pesticides cosmétiques, sont vaporisés chaque année dans les vergers de pommiers suisses.
La majorité des hormones de croissance utilisées en Suisse sont destinées au blé, afin de maintenir les plants plus petits et d'éviter les dégâts en cas d'inondations. Cet usage n'est donc pas cosmétique.
Des risques inconnus
Si les effets des pesticides conventionnels sur la santé humaine ont été bien étudiés, l'utilisation de régulateurs de croissance des plantes s'est développée sous le radar et peu de recherches ont été menées sur leur impact.
L'Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) a déclaré à swissinfo.ch que "les produits phytopharmaceutiques autorisés, y compris les organismes de réglementation des végétaux, ne doivent pas avoir d'effets nocifs sur la santé humaine lorsqu'ils sont utilisés correctement (c'est-à-dire conformément aux conditions et restrictions d'utilisation stipulées dans l'autorisation correspondante)".
Pro Natura n'a pas fait campagne spécifiquement contre les régulateurs de croissance des plantes, mais reconnaît qu’ils font partie du problème des polluants rejetés dans l'environnement et qu'ils doivent être réduits.
"Réduire la propagation des substances chimiques dans l'environnement et dans notre corps est une nécessité absolue. En ce sens, habituer les consommateurs à des fruits et légumes qui sont de plus en plus "parfaits" visuellement est contre-productif", souligne Nicolas Wüthrich, porte-parole de l’organisation de protection de la nature.
Une question de prix
En mai, Lucca Zachmann, chercheur à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), a publié une étude sur l'utilisation d'hormones de croissance végétales pour améliorer l'apparence des pommes produites en Suisse. Une enquête menée dans le cadre de ses recherches a recueilli les réponses d'environ 200 producteurs, représentant un quart des terres totales du pays consacrées à la culture de pommes.
Il a été démontré que 23,5% d’entre eux utilisent principalement des pesticides cosmétiques pour améliorer l'apparence des fruits, tandis que 59,2% les utilisent pour l'éclaircissage chimique (lien en pdf), qui permet de favoriser la formation des bourgeons floraux pour l'année suivante et d'empêcher l'alternance.
L’enquête a également révélé que l'utilisation des régulateurs de croissance des plantes n'est pas uniforme. Les agriculteurs suisses qui vendent leurs produits à des intermédiaires sont plus susceptibles de pulvériser ces produits chimiques que celles et ceux qui vendent directement aux consommateurs.
Migros affirme ne pas fixer de prix pour les fruits sur la base de leur apparence. "Migros utilise toujours les prix cibles fixés par les différents secteurs agricoles pour déterminer les prix qu'elle paie aux producteurs", explique son porte-parole Tristan Cerf. Les normes dans le secteur des fruits sont fixées par la FUS et l’Association suisse pour le commerce des fruits, légumes et pommes de terre (SWISSCOFEL). Les lignes directrices de la FUS classent les pommes de table en trois classes qui sont basées uniquement sur l’apparence.
Le principe de précaution
Malgré ces exigences très spécifiques en matière d'apparence, la FUS ne considère pas que ses lignes directrices encouragent les agriculteurs à pulvériser pour la beauté des fruits. Selon son vice-président Edi Holliger, l’objectif de l'utilisation des hormones de croissance végétales est de s'assurer que les pommes invendues sont d’une qualité suffisante pour être stockées et vendues plus tard.
Une interdiction des hormones de croissance végétales ou des réglementations exigeant une réduction significative de leur utilisation pourrait paralyser financièrement les producteurs de fruits, estime Edi Holliger. "Sans les mesures prises par les producteurs, la rentabilité des exploitations deviendrait très rapidement négative et la production ne serait plus durable. Les risques seraient inacceptables", prévient-il.
Cependant, la pression sur l'utilisation des pesticides en Suisse est croissante. En 2023, le gouvernement s’est fixé pour objectif de réduire de moitié les effets nocifs de ces produits chimiques sur l’environnement d'ici 2027. Pro Natura souhaite que les hormones de croissance des plantes soient incluses dans cet objectif.
Anand Chandrasekhar (SWI)
Adaptation : ainh (RTS)