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Deux études de l’EPFZ financées et réalisées avec Philip Morris

Le siège international de Philip Morris à Lausanne. [Keystone - Laurent Gilliéron]
Philip Morris a financé et participé à deux projets de recherche de l’EPFZ / La Matinale / 4 min. / le 8 février 2024
Dans un rapport encore inédit que le pôle enquête de la RTS s'est procuré, l'Association suisse pour la prévention du tabagisme fustige la collaboration entre Philip Morris et l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich. L’entreprise a financé à hauteur d’un million de francs deux projets de recherche de l'EPFZ, réalisés entre 2017 et 2021. Face aux critiques, la direction de l'EPFZ et Philip Morris défendent leur partenariat.

Alors que des universités dans le monde, et en Suisse aussi, tournent le dos à l'industrie du tabac, l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) a fait le choix inverse. C'est l'Association suisse pour la prévention du tabagisme (AT Suisse) qui, en parcourant un site internet de Philip Morris, a découvert deux projets de recherche réalisés main dans la main avec l'EPFZ. Ces recherches proposent de nouvelles méthodes d'analyse dans les domaines de la toxicologie et de la chimie, et ne portent pas directement sur la nocivité de tel ou tel produit du tabac.

Collaboration clairement affichée

Ce partenariat entre l'EPFZ et Philip Morris est aussi clairement affiché sur différentes pages internet de l’institution ou celles de revues scientifiques. On y découvre entre autres que les chercheurs de l'entreprise ont contribué à la conception même et à la supervision d'un des deux projets.

Mais cette documentation ne dit pas tout, notamment au niveau du financement. Le pôle enquête de la RTS a donc sollicité les deux professeures de l'EPFZ directement impliquées, tout comme son vice-président de la recherche. Ils n'ont pas souhaité s'exprimer au micro. Mais le service de presse du polytechnique de Zurich, tout comme Philip Morris, ont accepté d'en dire davantage.

L'EPFZ s'explique

Le géant du tabac a investi respectivement "1 million de francs et 120'000 francs pour ces deux recherches réalisées entre 2017 et 2021", détaille une porte-parole de l'EPFZ.

Quant aux raisons de cette collaboration, elle explique que "les chercheurs de l'EPFZ sont libres de décider des questions qu'ils souhaitent aborder et s'ils veulent collaborer avec des tiers. L'EPFZ n'exclut pas de manière générale certaines branches comme partenaires potentiels".

Cela étant, il y a bien évidemment des règles. Notamment pour les contrats à plus de 50'000 francs. Pour ceux-là, le vice-président de la recherche doit donner son autorisation. "Celle-ci a été accordée dans le cas présent, car les questions posées sont scientifiquement pertinentes et intéressantes pour la société. De plus, tous les résultats ont été rendus publics", ajoute encore le service de presse de l'EPFZ.

Les milieux de la lutte anti-tabac en colère

Dans un rapport encore inédit que le pôle enquête de la RTS s'est procuré, AT Suisse qualifie lesdits travaux de "recherches toxiques", car influencés par le cigarettier. "Une telle collaboration est inacceptable, a déclaré le directeur d'AT Suisse dans La Matinale de la RTS. "Les industries de la cigarette essaient de manipuler la vérité depuis très longtemps, a expliqué Luciano Ruggia. Elles le font par différentes stratégies; une des plus importantes, c'est de produire de l'évidence scientifique qu'ils utilisent à leur fin, ils font tout pour produire une évidence qui est biaisée".

Des critiques vigoureusement rejetées par l'EPFZ et Philip Morris. L'entreprise parle "d'allégations infondées". "De la même manière que nous mettons à disposition tous nos résultats et protocoles pour la vérification des données, la participation de Philip Morris aux études réalisées avec l'EPFZ est transparente, a répondu par email à la RTS un porte-parole de Philip Morris en Suisse. Il s'agit de collaborations fructueuses, qui vont dans les deux sens. Les prérogatives et les règles de ces collaborations sont clairement définies".

Objectifs de ces études

Mais le directeur d'AT Suisse soupçonne le cigarettier de vouloir utiliser de telles recherches pour promouvoir certains de leurs produits. Luciano Ruggia ose même le mot de "propagande".

Philip Morris récuse de tels propos et nous précise que "les résultats de ces études collaboratives font partie d'un programme de recherche beaucoup plus vaste. [Ce programme vise à] développer et évaluer scientifiquement une gamme de produits sans fumée innovants qui sont destinés aux fumeurs adultes existants et qui ont le potentiel d'être moins nocifs que le fait de continuer à fumer des cigarettes", a écrit le communicant de Philip Morris en Suisse.

Quant à l'EPFZ, elle estime que l'indépendance et l'intégrité scientifique ont toujours été garanties. Mais l'institution en est consciente: des bailleurs de fonds peuvent avoir des intérêts propres et les résultats d'une recherche peuvent être interprétés de manière sélective. "En déduire qu'aucune collaboration de ce type n'est possible serait un frein pour la recherche et l'innovation en Suisse", estime une porte-parole du polytechnique de Zurich.

Marc Menichini

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L’embarras du FNS 

Les deux principaux articles scientifiques qui présentent ces recherches mentionnent aussi un financement du Fonds national suisse de la recherche (FNS). Alerté par l'ONG AT Suisse, le FNS a constaté qu'il n'avait pas été informé par les professeures de l'EPFZ sur leurs partenariats avec Philip Morris, alors qu'elles bénéficiaient d'importantes subventions du FNS. Courant 2023, l'institution a ouvert une procédure administrative contre une des deux chercheuses.

Conclusion de cette enquête: "les recherches financées par Philip Morris et le FNS respectivement étaient des recherches menées indépendamment l'une de l'autre, qui n'ont impliqué aucune collaboration ni aucun cofinancement quelconque entre l'entreprise privée et le FNS", indique le chef de la communication du FNS.

Aucune sanction n'a été prise, mais un correctif a dû être apporté dans la revue scientifique ayant publié ces travaux. De plus, suite à ce cas, le FNS a décidé d'envoyer chaque année aux chercheurs et chercheuses un courriel "pour leur rappeler de nous informer dans le cas d'une collaboration avec un partenaire externe", précise encore le communicant de l'institution.

Pas de collaboration à l'EPFL

L'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) a pour principe "d'exclure toute collaboration avec l'industrie du tabac", a répondu à la RTS le porte-parole de l'institution. Cela étant, elle a tout de même signé des mandats de prestation avec Philip Morris.

Le dernier contrat remonte à 2012. Ces mandats portaient sur "des questions techniques très précises et ne visaient aucunement à permettre la fabrication de davantage de cigarettes ou de produits dérivés", précise le porte-parole.