Après le fils, c'est au tour de la mère et de la tante d'avoir affaire à la justice pour avoir soutenu l'organisation Etat islamique. "Ce djihad en famille a un caractère un petit peu insolite", a relevé dans La Matinale Géraldine Casutt, chercheuse associée au Centre Suisse Islam et Société de l'Université de Fribourg.
Les deux sœurs, la cinquantaine, vivent dans le canton de Vaud et seront jugées le 7 mai par le Tribunal pénal fédéral, à Bellinzone.
Selon l'acte d'accusation, qui résume les faits reprochés aux prévenues, la mère et son fils, alors âgé de 16 ans, tentent une première fois, en novembre 2014, de rejoindre l'organisation Etat islamique en Syrie.
Avant le départ, le fils prend contact avec des djihadistes dont les numéros lui sont fournis par un autre voyageur du djihad, un Genevois qui sera condamné par la justice suisse quelques années plus tard. Malgré les conseils reçus, la mère et le fils n'arrivent pas à franchir la frontière entre la Turquie et la Syrie et rentrent en Suisse.
Accusés d'espionnage
Ce n'est que partie remise. En février 2015, moins d'un mois après les attentats djihadistes contre Charlie Hebdo et l'Hyper Casher à Paris, la mère, le fils et la tante réussissent à rejoindre les rangs de l'EI en Syrie.
Dès leur arrivée, ils sont séparés. Les femmes d'un côté, le jeune homme de l'autre. Mais au bout de trois jours, ils demandent à rentrer en Suisse.
"Ils ont alors été accusés d'espionnage, gardés sous enquête et interrogés par des membres de l'organisation Etat islamique durant une vingtaine de jours", écrit le procureur fédéral Andreas Müller dans son acte d'accusation.
La famille est retenue en Syrie pendant un gros mois avant d'être libérée. Elle rentre en Suisse fin mars 2015.
"Elles voulaient faire péter l'ONU"
Dans son acte d'accusation, le procureur fédéral écrit que pendant leur séjour en Syrie, la mère et la tante ont déclaré planifier un attentat contre l'Organisation des Nations unies, à Genève, mais aussi être venues en Syrie pour apprendre à construire une bombe dans le but de s'en prendre à la Gay Pride, à Zurich ou à Berne.
Les deux sœurs auraient tenu ces propos devant une Française rencontrée en Syrie. Cette dernière, arrêtée par les autorités tricolores à son retour en France, en 2015, a alors affirmé que les Suissesses "avaient en projet de faire péter un truc en Suisse et porter les armes […] Elles voulaient faire péter l'ONU. Mais elles n'ont rien détaillé, pas de projet en particulier. Elles avaient vraiment l'air motivées pour commettre un attentat en Suisse, mais n'ont pas donné de mode opératoire ni de date."
Les deux sœurs contestent avoir voulu commettre un quelconque attentat.
Toujours dans son acte d'accusation, le procureur fédéral reproche à la mère d'avoir financé le groupe Etat islamique après son séjour en Syrie. Il fait état de six versements pour un montant total de près de 6400 francs.
Incarcérées pendant environ deux mois en début d'instruction pénale, les deux sœurs vaudoises se présenteront libres à leur procès. Poursuivies pour violation de la Loi fédérale interdisant les groupes Al-Qaïda et Etat islamique, elles risquent jusqu'à deux ans de prison. La mère, qui ne possède pas le passeport suisse, risque également l'expulsion.
Contactés, les avocats des prévenues n'ont pas souhaité s'exprimer avant le procès.
Fabiano Citroni - Pôle Enquête RTS
Géraldine Casutt: "Les forums de jeux vidéos sont devenus des espaces de radicalisation"
Chercheuse associée au Centre Suisse Islam et Société de l'Université de Fribourg, Géraldine Casutt relève qu'avec "la chute territoriale de l'Etat islamique, les départs sur zone ont perdu de leur attractivité".
De fait, selon le Service de renseignement de la Confédération, aucun départ vers la zone de conflit irako-syrienne n'a été enregistrée depuis 2016.
Le terrorisme n'a pas disparu avec la chute territoriale de Daech
Mais "le terrorisme n'a pas disparu avec la chute territoriale de Daech", précise Géraldine Casutt. "A partir de 2020, la Suisse a été touchée par des attentats qu'on dit inspirés. Ils sont commis par des personnes qui ne sont pas nécessairement envoyées par un groupe terroriste pour passer à l'acte, mais qui vont se réclamer d'une appartenance ou de l'univers de sens du groupe terroriste. Plus récemment, notre pays a même été touché par un attentat, à Zurich, salué par l'Etat islamique. Cela n'était jamais arrivé."
Pour ce qui est de la radicalisation des jeunes, la chercheuse constate que "les réseaux sociaux sont toujours un moteur de radicalisation important". Mais elle met le doigt sur le rôle joué par les forums autour des jeux vidéos. "La radicalisation se fait souvent par là. On va se rencontrer autour d'intérêts communs par-dessus lesquels on va pouvoir broder, voire rencontrer d'autres univers de sens radicaux. Finalement, ces forums de jeux vidéos deviennent aussi des espaces de radicalisation, au même titre qu'on peut avoir TikTok, au même titre qu'on peut avoir d'autres types de réseaux sociaux."
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Le fils avait voulu repartir en Syrie
Environ un an après son séjour en Syrie avec sa mère et sa tante, le fils fait la connaissance de sa future femme sur Facebook en 2016. Elle habite en France et elle est mineure, comme lui. Quelques semaines après leurs premiers échanges, ils se marient religieusement dans une mosquée fondamentaliste près de Paris. Elle s'installe en Suisse puis s'envole pour la Turquie en juillet 2016. Il la rejoint sur place le 19 juillet, cinq jours après l'attentat de Nice qui a causé la mort de près de 90 personnes. Il semble que le couple tente de se rendre en Syrie avant de renoncer à son projet de vie là-bas et de rentrer en Suisse.
Arrêté quelques jours après son retour au pays, le fils effectue quelque trois mois de détention provisoire. Il fête donc ses 18 ans en prison. Il sera condamné à 1 an de prison avec sursis pour infraction à la Loi fédérale interdisant les groupes Al-Qaïda et Etat islamique. Un sursis subordonné à plusieurs règles, notamment se présenter une fois par semaine au poste de police.
Selon deux sources, il se serait "rangé" avec le temps et aurait pris ses distances avec les sympathisants de l'EI.
La belle-fille a été expulsée de Suisse
En août 2016, la petite amie du fils annonce son arrivée en Suisse aux autorités cantonales vaudoises. Peu de temps après, le Service de renseignement de la Confédération demande à l'Office fédéral de la police de prononcer une interdiction d'entrée à son encontre. Elle s'y oppose et présente une demande de regroupement familial en janvier 2017, annonçant qu'elle est enceinte.
Deux mois plus tard, l'Office fédéral de la police prononce malgré tout son expulsion ainsi qu'une interdiction d'entrée en Suisse d'une durée de dix ans. Il retient notamment que le couple s'est rendu en Turquie pour rejoindre les rangs de l'Etat islamique, mais aussi qu'il craint "une usurpation du territoire suisse à des fins terroristes".
La belle-fille conteste cette décision mais son recours est rejeté par le Tribunal administratif fédéral en avril 2019.
En dates
Novembre 2014
La mère et le fils, qui a alors 16 ans, tentent de franchir la frontière turco-syrienne pour rejoindre l'organisation "Etat islamique". Ils n'y parviennent pas.
7 janvier 2015
Attentat contre Charlie Hebdo.
3 février 2015
La mère, la tante et le fils réussissent à rejoindre les rangs du groupe Etat islamique. Après moins de deux mois en Syrie, ils rentrent en Suisse.
14 juillet 2016
Attentat à Nice.
19 juillet 2016
Le fils, encore mineur, tente de se rendre en Syrie avec sa petite amie, mais le couple finit par renoncer à son projet.
28 juillet 2016
Le fils est arrêté en Suisse. Il effectuera quelque trois mois de détention provisoire.
20 mars 2017
L'Office fédéral de la police prononce l'expulsion de la petite amie ainsi qu'une interdiction d'entrée en Suisse d'une durée de dix ans.
30 juin 2017
Le fils est condamné à 6 mois de prison avec sursis par le Tribunal des mineurs vaudois pour infraction à la loi fédérale interdisant les groupes Al-Qaïda et Etat islamique. Il écopera de 6 mois de plus en 2020.
5 septembre 2017
La mère et la tante sont arrêtées. Elles feront environ deux mois de détention provisoire.
7 mai 2024
Procès de la mère et de la tante devant le Tribunal pénal fédéral, à Bellinzone.