Des habitations et des voies de communication détruites, des communautés alpines isolées, au moins 12 personnes tuées ou portées disparues – telles sont les conséquences des conditions météorologiques extrêmes qui ont frappé le sud des Grisons, le Tessin et le Valais dans la deuxième quinzaine de juin et début juillet.
Il est presque impossible d'anticiper ces événements. "En général, nous ne savons pas quelle quantité de débris peut être présente dans un ruisseau de montagne, ni quelle quantité est susceptible de commencer à se déplacer en cas de fortes pluies", explique Brian McArdell, spécialiste de l'hydrologie des montagnes et des glissements de terrain à l'Institut fédéral de recherche sur la forêt, la neige et le paysage (WSL). Dans les Alpes, ces éboulements peuvent provoquer la chute d’un demi-million de mètres cubes de débris et causer chaque année en moyenne 100 millions de francs de dégâts.
Anticiper une coulée de débris avec l'IA
Les systèmes d'alarme peuvent alerter les autorités d'un éventuel éboulement ou détecter le mouvement des débris lorsqu'il se produit. Dans le premier cas, les systèmes reposent essentiellement sur la quantité de pluie. Cette approche a l'avantage d'alerter les premiers intervenants comme les pompiers et la police. Mais les ruisseaux de montagne et les gorges qui produisent ces glissements de terrain ne réagissent pas tous de la même manière. Difficile donc de déterminer un seuil de précipitations qui déclencherait une alarme pour l'ensemble d’une région. "Il y a un problème avec les fausses alertes: on sait que les populations locales les supportent mal", explique Alexandre Badoux, un autre expert des glissements de terrain au WSL.
L'autre type de système utilisé détecte un glissement de terrain au fur et à mesure de son apparition grâce à des instruments situés dans le lit du ruisseau de montagne ou sur les berges. L'inconvénient: une fois que la coulée commence à dévaler la montagne, il ne reste généralement que peu de temps pour tirer la sonnette d'alarme.
Pour gagner quelques précieuses minutes, des chercheurs de l'EPF de Zurich et du WSL ont développé un système d'alarme basé sur l'intelligence artificielle. Les capteurs habituellement utilisés pour les tremblements de terre enregistrent les vibrations provoquées par les détritus en mouvement alors qu'ils se trouvent encore à plusieurs kilomètres. L'algorithme est ainsi capable de distinguer le mouvement des débris des vibrations provoquées par le trafic ferroviaire ou les troupeaux de vaches en mouvement, par exemple. Ce dispositif a été testé avec succès en 2020 dans un ruisseau de montagne de la vallée de l'Illgraben, dans le canton du Valais, et le délai de pré-alerte a été augmenté de 20 minutes.
Des filets d'acier pour protéger les logements et les infrastructures
Les murs et les remblais en béton armé peuvent protéger les habitations et les infrastructures des glissements de terrain, mais leur construction est coûteuse et occupe beaucoup d’espace. Les barrières en filet d'acier, utilisées depuis longtemps pour retenir les avalanches ou les coulées de boue, constituent une alternative plus économique. Ils peuvent être installés rapidement dans un ruisseau de montagne ou une gorge comme première solution pour protéger une seule route ou un seul bâtiment.
Depuis 2007, plus de 110 barrières ont été installées en Suisse. "Nous utilisons du fil d'acier à haute résistance, le même que celui utilisé pour transporter les téléphériques en montagne", explique Isacco Toffoletto, ingénieur chez Geobrugghe, une entreprise leader dans le domaine des systèmes de protection contre les risques naturels.
Mais comme les systèmes d'alarme, les filets en acier ont leurs limites. Cette approche est plus judicieuse dans les endroits où les coulées ne se produisent que rarement, selon Alexandre Badoux. "Sinon, il faut continuer à nettoyer les débris accumulés, ce qui coûte très cher."
Abandonner les vallées alpines les plus menacées
Avec le risque croissant de catastrophes naturelles dues au réchauffement climatique, la protection des établissements et des infrastructures alpines constituera un défi de plus en plus important. En 2022, la Confédération, les cantons et les communes ont investi quelque 600 millions de francs dans la protection contre les risques naturels. Pour Reinhard Steuer, professeur de politique climatique à l'Université des ressources naturelles et des sciences de la vie (BOKU) de Vienne, des solutions drastiques s'imposent.
Les dégâts causés par les inondations et les glissements de terrain comme ceux observés en Suisse cet été peuvent être réparés, "mais si cela se produit deux ou trois fois dans une zone peu peuplée, la reconstruction devient difficile à justifier d'un point de vue socio-économique", a-t-il déclaré au journal NZZ. Selon lui, d'ici à la fin du siècle, certaines des vallées alpines les plus exposées devront être dans une certaine mesure abandonnées.
Pour Carmelia Maissen, il s’agit là d'une "vision cynique et à court terme". La présidente de la Conférence des gouvernements des cantons alpins a déclaré au journal NZZ que même s'il peut y avoir des cas particuliers de réinstallation, il n'est pas question d'abandonner des vallées entières. Il s'agit désormais d'analyser ce qui s'est passé dans les zones touchées et d'identifier les points faibles, en tenant compte des facteurs du changement climatique.
Luigi Jorio (SWI)
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Cet article est initialement paru en anglais sur le site de Swissinfo et a été traduit par la rédaction de "dialogue". Vous pouvez lire l'article original sur le site de SWI.
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