Heures supplémentaires, manque de contact humain: les conditions de travail dégoûtent les jeunes médecins
Selon une récente étude de l'Association suisse des étudiants en médecine, un tiers des étudiantes et étudiants en médecine veulent abandonner la profession après leur première expérience pratique dans un hôpital, car ils sont dégoûtés par ce qu'ils vivent sur le terrain.
Le contact humain promis pendant leurs six années d'études n'est en réalité qu'un mythe. "Il y a beaucoup à déconstruire (...) C'est une grosse surprise", dénonce un médecin assistant au Réseau hospitalier neuchâtelois (RHNe), âgé de 26 ans mardi dans La Matinale.
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"La théorie qu'on voit en cours et la pratique qu'on voit en stage sont deux mondes bien différents", relève-t-il également. L'ancien étudiant dit passer "deux heures maximum par jour" avec ses patients et ajoute que ceux-ci côtoient surtout les aides-soignants. "En fait, le médecin passe surtout du temps avec son ordinateur."
"Deux semaines d'heures supplémentaires en trois mois"
Les médecins travaillant de longues heures (souvent de 7h à 19h, voire 22h, sans avoir le temps de prendre de pause) et sont souvent voués à faire de nombreuses heures supplémentaires. "C'est un gros rythme. C'est intense", décrit encore le jeune médecin.
Cela ne fait que trois mois qu'il travaille, mais il n'a "pas eu beaucoup de temps" pour lui. Il a fait 117 heures supplémentaires. "Cela correspond à deux semaines de travail en plus", estime-t-il.
"On travaille entre 60 et 85 heures par semaine, on n'a pas le temps de manger ou de prendre de pause. Les heures supplémentaires ne sont pas rémunérées, ni rattrapées", décrit une autre jeune médecin de 28 ans qui a démissionné d'un grand hôpital romand.
"Un médecin assistant travaille entre 46 et 50 heures par semaine pour un contrat à 100%", rappelle Enrique Lázaro i Fontanet, co-président de l’Association suisse des médecins assistants et chef de clinique en chirurgie à l'Hôpital Riviera-Chablais (HRC).
Je n'ai pas beaucoup de temps pour m'épanouir, c'est peut-être ça qui fait que j'ai envie de faire autre chose
"Je n'ai pas beaucoup de temps pour m'épanouir dans d'autres activités et choses que j'aime. C'est peut-être ça qui me manque, c'est peut-être ça qui fait que j'ai envie de m'arrêter et que j'ai envie de faire autre chose", confie une autre médecin assistante en chirurgie au RHNe, âgée de 25 ans.
A noter qu'au RHNe, 167 médecins assistants accueillent les quelque 690 patients admis par jour.
Manque d'accompagnement
Ces heures de travail en plus ne sont pas les seules à empiéter sur la vie personnelle des médecins assistants. Ils doivent en plus se former. "C'est un investissement important", indique Enrique Lázaro i Fontanet..
Les jeunes médecins disent aussi être confrontés à un manque d'accompagnement du médecin-chef avec qui ils entretenaient une "proximité directe" avant, décrit Stéphanie Monod, professeure en médecine à l'Université de Lausanne et co-cheffe de département à Unisanté. "Ce fameux compagnonnage", poursuit-elle.
Le médecin-chef avait en effet "une grosse expérience et quand on était un peu inquiet sur un certain nombre de choses, il y avait une voix rassurante qui était là".
Sujets et interviews radio: Deborah Solbank, Pietro Bugnon, Valérie Hauert
Adaptation web: Julie Marty
Plusieurs solutions sur la table
Face à ce découragement des jeunes médecins, Stéphanie Monod s'inquiète des pénuries de professionnels de santé. Pour elle, l'argent n'est pas la solution et les professionnels venus de l'étranger non plus. "C'est un mythe en Suisse de penser qu'avec notre richesse, on va pouvoir se payer tous les professionnels de santé dont on a besoin. C'est faux!", dénonce-t-elle.
"On voit bien notre très forte dépendance à l'étranger", souligne-t-elle. Presque 40% des médecins et 30% des infirmières en Suisse viennent des pays étrangers et "surtout des pays limitrophes", indique-t-elle encore.
Revoir le processus de soins
Pour elle, la solution serait d'inscrire le discours politique dans une vision qui priorise les besoins de notre système de santé. "Donc à mon sens, il faut des états généraux."
Dans ce sens, la présidente du conseil d'administration de l'HCR Brigitte Rorive assure tester plusieurs solutions. La dictée vocale pourrait ainsi être utilisée pour aider les médecins assistants, car l'établissement ne peut pas engager d'aides administratives pour les remplacer.
"On travaille avec le CHUV pour remplacer le système du patient intégré", ajoute-t-elle.
La présidente parle aussi de "réinventer les processus de soins". "Aujourd'hui, on a des patients complexes qui sont polymorbides (...) Ils rentrent dans un service et ils sortent d'un autre", décrit-elle.
Enrique Lázaro i Fontanet, lui, souhaite que la médecine s'adapte à cette nouvelle génération de médecins qui veut s'épanouir ailleurs.