"Il a collé son visage au mien et a essayé de m'étrangler", témoigne une conductrice de bus
Pour tenter de stopper la violence visant son personnel, les CFF ont décidé d'agir. La semaine dernière, l'entreprise présentait à la presse une campagne de sensibilisation nationale. C'est en particulier la violence des agressions qui inquiète, même au-delà des CFF. D'autres entreprises de transport public partagent en effet le constat d'agressions toujours plus graves.
>> Plus de détails dans notre article : Les CFF lancent une campagne de sensibilisation face aux agressions
En plus de cette campagne, la régie ferroviaire a inauguré un nouveau centre de formation pour ses collaborateurs à Morat. Elle réfléchit aussi à renforcer son dispositif de sécurité. Sa police pourrait bientôt être armée de tasers [lire encadré].
Une dizaine de cas par jour
En moyenne, rien qu'aux CFF, une dizaine d'agressions graves sont recensées chaque jour. Début octobre, une vidéo filmée en pleine gare de Lucerne a fait le tour des réseaux sociaux. On y voit un employé des CFF et un client en venir aux mains. La bagarre est brutale.
Contrôleuse qui sillonne le pays à bord des trains grandes lignes depuis quinze ans, Eugénie est témoin de cette insécurité croissante. Chaque jour, cette Biennoise croise des milliers de passagers. Il lui est parfois arrivé de faire de mauvaises rencontres.
Ils m'ont couru après, m'ont lancé des bouteilles. Ils m'ont bousculée et ont essayé de me pousser dans les escaliers
"Oui, j'ai déjà vécu des violences physiques. C'était durant le Covid, pendant le contrôle des billets. La personne n'avait pas de billet. Au début, ça se passait très bien. Elle m'a donné ses coordonnées, tout ça", a-t-elle témoigné dimanche dernier dans l'émission Mise au point de la RTS. A l'issue du contrôle, elle passe dans une autre voiture. "Tout à coup, elle m'a couru après et a commencé à m'engueuler", poursuit-elle. Un autre passager rejoint alors le premier. "Ils m'ont couru après, m'ont lancé des bouteilles. Ils m'ont bousculée et ont essayé de me pousser dans les escaliers".
Il est selon elle devenu difficile d'identifier à l'avance les passagers problématiques. "Aujourd'hui, on ne peut plus dire que ce sera telle ou telle personne. Ça peut être une personne âgée, ça peut être un jeune...", note la contrôleuse.
Des lignes pires que d'autres
Interrogé dans un autre convoi CFF, Klemenz est encore apprenti, mais lui aussi a déjà vécu quelques frayeurs. "Récemment, un client énervé m'a lancé ses bagages dessus, et puis il est parti", raconte-t-il.
Un client énervé m'a lancé ses bagages dessus, et puis il est parti
Pour leur sécurité, les contrôleurs travaillent désormais systématiquement en binôme dès 22 heures. Mais même à plusieurs, ils continuent à redouter certains trains. "On n'aime pas du tout travailler sur certaines lignes où il y a le plus d'agressivité. Moi, par exemple, c'est sur la ligne Bienne - Soleure que j'ai eu vécu le plus d'agressions", révèle Delphine, une jeune accompagnatrice CFF, qui confie: "Quand je suis toute seule, ça peut m'arriver d'avoir peur". Elle travaille toutefois souvent en binôme, ce qui "calme déjà les choses".
Constat unanime
Qu'ils travaillent dans des trains ou dans des bus, tous les employés des transports avec qui la RTS s'est entretenue ont raconté avoir un jour subi des violences. L'une des pires histoires s'est déroulée un soir de février dernier, quelque part dans une ville romande. Un inconnu entre dans un bus. L'homme est grand et semble très agité, peut-être drogué. A bord, il crie et commence à s'en prendre aux passagers. Les insultes pleuvent, les coups aussi.
Sophia*, la conductrice, freine. "J'ai compris qu'il venait vers moi. Il est monté dans le poste de conduite et a collé son visage sur le mien. J'étais coincée entre son visage et le dos de ma chaise. Il a ensuite essayé de m'étrangler. Je ne savais pas comment ça allait évoluer. Ça m'a fait peur. J'ai senti qu'il pouvait me tuer", se remémore-t-elle, son esprit encore hanté par ce souvenir.
J'ai passé des mois sans dormir. Ça m'a changée en tant que personne. Je n'étais pas comme je suis aujourd'hui
A ce moment-là, du bout des doigts, elle parvient à presser le bouton d'ouverture des portes. Surpris, l'assaillant prend la fuite. Sophia reste figée, groggy sur son siège. La douleur est vive dans son épaule, où un tendon est déchiré. "J'ai passé des mois sans dormir. Ça m'a changée en tant que personne. Je n'étais pas comme je suis aujourd'hui. Je suis toujours sur la défensive. Ça a changé ma vie", regrette-t-elle, évoquant aussi l'apparition d'un sentiment de colère qu'elle "n'aime pas" ressentir.
Des moments de tension quotidiens
La violence gangrène également le réseau des TL à Lausanne. Mise au Point a pu échanger avec plusieurs employés. Les convaincre de témoigner a été difficile. Ils ont raconté leur routine: les tensions avec les autres usagers de la route, avec les clients mécontents, parfois aussi avec des trafiquants qui vendent de la drogue à bord.
Un passager peut avoir facilement accès à nous. Celui qui veut nous agresser nous agresse
Plusieurs ont déjà subi des attaques, des crachats, des coups, souvent donnés gratuitement. "Ils n'écoutent même pas ce qu'on a à dire, ils se défoulent simplement. Moi, je ne réponds pas. Plus tu réponds, plus ça surenchérit, et plus tu as de risques que ça parte en agression", décrit Rose, conductrice aux TL, pour qui ces moments de tension sont quotidiens.
"Et puis on n'a rien qui nous protège tout de suite", déplore-t-elle. "Oui, on a un bouton de détresse, on a une vitre, mais malgré elle, un passager peut avoir facilement accès à nous. Celui qui veut nous agresser nous agresse". Certains conducteurs réclament davantage de protection, notamment des postes de conduite fermés. Les compagnies y songent. En Suisse romande, certains trams et trolleybus en sont d'ailleurs déjà équipés.
Difficile reconstruction
Pour les victimes, la reconstruction est souvent difficile. A l'arrêt depuis des mois, Sophia rêve de reprendre un jour le volant. Mais pour cela, il lui faudra surmonter les douleurs physiques et psychologiques. "C'est un métier qui me plaît énormément. On ne doit pas laisser cette minorité de la société gagner du terrain", exhorte-t-elle.
Même si l'employeur de Sophia a déposé plainte, l'agresseur court toujours. Depuis 2007, toute agression à l'encontre du personnel des transports est normalement poursuivie d'office, mais selon les syndicats, ce mécanisme reste peu connu et de nombreux actes ne sont jamais signalés à la justice.
Sujet TV: Romain Boisset
Adaptation web: Vincent Cherpillod
*prénom d'emprunt
A la recherche de solutions
Pour diminuer l'insécurité dans les gares et à bord des trains, les CFF ont déjà pris un certain nombre de mesures. La présence de policiers et d'agents de sécurité a été renforcée. Autre nouveauté depuis septembre: les agents de la police ferroviaire sont équipés de caméras en plus de leur spray au poivre et de leur arme de service.
>> Lire à ce sujet : La police des CFF patrouille avec des caméras corporelles pour désamorcer les conflits
"On voit que ces nouvelles mesures ont un impact positif. Nous allons donc les prolonger. Dans le même temps, nous examinons bien sûr l'évolution de la situation et il se peut que nous prenions d'autres mesures", indique Linus Looser, membre de la direction des CFF. L'une d'elles serait d'équiper la police ferroviaire de tasers. Des discussions sont en cours à Berne. Mais pour introduire cette nouveauté, il faudra que le Parlement accepte de modifier la loi.
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Manque de ressources dénoncé
Reste qu'avec seulement 200 agents, la police des transports peine à encadrer les quelque 1,3 million de passagers qui embarquent quotidiennement dans les trains CFF. "Effectivement, il y a un manque de ressources. Il devrait y avoir plus de policiers. La couverture géographique est un peu lacunaire. Il n'y a par exemple pas de présence de la police des transports sur la ligne du Valais", confirme le secrétaire syndical au SEV René Zürcher.
"Bien sûr, il y a les corps de police cantonale, mais on demande aussi une meilleure représentation géographique de la police des transports", ajoute-t-il.
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