Il y a 30 ans, l'Ordre du temple solaire et ses 53 tués causaient un traumatisme national
Dans la nuit du 4 au 5 octobre 1994, peu avant l'aube, 23 cadavres sont découverts dans une ferme en feu du village de Cheiry, dans le district de la Broye. Les corps sont enveloppés dans des habits de cérémonie. A peu près au même moment, un chalet en feu à Salvan, près de Martigny (VS), livre 25 cadavres.
L'ampleur du drame frappe les esprits, la plupart des gens en âge de l'avoir vécu s'en souviennent aujourd'hui encore. Les policiers et les juges d'instruction sentent d'emblée être confrontés à une affaire hors normes, une intuition rapidement confirmée rien que par l'emballement médiatique constaté au fil des heures.
Le lendemain, les autorités canadiennes annoncent la découverte de cinq cadavres carbonisés dans un chalet de Morin Heights, village situé à une heure de route de Montréal.
Ce "voyage" qui a emporté, de gré ou de force, 53 personnes au total ne demeure pas sans suite. En décembre 1995, seize corps calcinés sont retrouvés dans le Vercors, en France. Et en mars 1997, cinq autres cadavres, calcinés eux aussi, sont découverts au Canada. Tous sont liés à la secte.
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Impacts de balles
Rapidement, l'enquête met un nom sur le dénominateur commun de la tuerie: l'Ordre du temple solaire, une secte apocalyptique dont les membres semblent s'être volontairement donné la mort pour atteindre une autre dimension [lire encadré]. On saura un peu plus tard que les deux fondateurs de la secte, Luc Jouret et Joseph "Jo" di Mambro, sont morts avec leurs adeptes.
Mais les questions demeurent. A Salvan, les victimes ont absorbé des médicaments dérivés du curare et les corps ne présentent pas de trace de violence. A Cheiry en revanche, 20 des 23 victimes portent des impacts de balles, presque tous à la tête. Elles étaient vivantes au moment du premier coup de feu. Une partie des balles ont été tirées avec un pistolet retrouvé à Salvan.
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Pas de mémorial
A Salvan, comme à Cheiry, il ne reste plus trace du drame aujourd'hui. Le chalet et la ferme qui ont servi de cadre à la tuerie ont été rasés et ont fait place à de nouvelles constructions. Rien ne vient rappeler les tragiques événements.
"Plus personne n'en parle dans le village", expliquait le président de Salvan en 2014, à l'occasion des 20 ans du drame. La page est tournée, même si les questions demeurent: celles des parents et de proches des victimes, qui ont cherché longtemps des réponses à ce qui s'est passé. Au total, l'ensemble des suicides collectifs ont causé le décès de 74 personnes en Suisse, en France et au Canada, en à peine deux ans et demi.
Sur le plan judiciaire, côté suisse, le dossier a été clos le 18 août 1998 par arrêt de l'ex-Chambre d'accusation du Tribunal cantonal fribourgeois et la procédure n'a pas été réouverte depuis cette date. En Valais, l'affaire a été classée en octobre 1995.
ats/vic
Motivations obscures
Les motivations qui ont mené au drame sont obscures. Tout débute dans les années 1980. Les conférences du naturopathe belge Luc Jouret séduisent des personnes ouvertes à l'ésotérisme. Avec Jo di Mambro, un escroc notoire, Luc Jouret met en place les structures d'une communauté.
En 1989, la secte de l'OTS compte 442 membres, français, suisses et canadiens pour la plupart. Le mouvement vit au grand jour. A coup d'articles dans les médias et de spots publicitaires, il présente l'image d'une communauté d'hommes et de femmes proches de la terre, de la nature, vivant dans le bonheur.
Un "transit vers Sirius"
Derrière la façade se cache une réalité plus obscure. Un cercle d'initiés entoure Luc Jouret et Jo di Mambro. Les deux gourous leur font croire qu'ils appartiennent à une élite qui pourra survivre à l'apocalypse dans un lieu spécialement aménagé.
Le cocktail mystico-ésotérico-religieux servi par Jo di Mambro à grand renfort d'effets spéciaux convainc la plupart des adeptes. Mais la condamnation au Canada de membres de la secte pour détention illégale d'armes dérègle la machine. Certains pourvoyeurs de fonds prennent leurs distances et l'argent commence à manquer. Les maîtres de la secte préparent alors l'adieu à ce monde. Ils le nomment le "transit vers Sirius", pour rester dans une tradition ésotérique.