A 90 ans, Jean Ziegler vient de publier un ouvrage intitulé "Où est l'espoir?" aux éditions Seuil. A cette question, l'ancien rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l'alimentation répond que l'espoir réside dans la résistance des humains face aux désastres contemporains: guerres, famines, inégalités.
"Le monde est à feu et à sang. Une troisième guerre mondiale menace, et l'on évoque même l'arme nucléaire. Mais l'espoir, c’est la capacité des humains à élaborer des stratégies pour éviter ces catastrophes", souligne-t-il samedi dans l'émission Helvetica.
On ne peut pas civiliser le capitalisme
Depuis presque un siècle, Jean Ziegler s'est donné comme mission de combattre les injustices, convaincu que le capitalisme néolibéral de nos démocraties est la "source de tous les malheurs du monde". Pour lui, dépasser ce "système basé sur l'unique principe du profit" est une nécessité: "Les 500 plus grandes entreprises transnationales accumulent 58% de la richesse mondiale, selon la Banque mondiale." Leur dynamisme est indéniable, mais elles ne servent qu’une logique: maximiser leurs profits, au détriment du bien commun, déplore-t-il.
Pourtant, beaucoup voient dans la démocratie libérale occidentale un compromis acceptable. Mais pas pour l'essayiste genevois: "On ne peut pas civiliser le capitalisme." Selon lui, ce système est irréformable, car "il repose sur l'absence totale de contrôle public, parlementaire ou étatique". Le modèle occidental n’est pas une solution face aux dangers mondiaux, poursuit-il, pas plus que les régimes autoritaires - chinois ou russe par exemple - avec lesquels il est aujourd'hui mis en concurrence.
Un engagement forgé dans l'adolescence
L'engagement de Jean Ziegler vient de son adolescence. Quand il a 14 ans, alors qu'il vit à Thoune "dans une famille aimante", il découvre que des enfants issus de familles pauvres sont placés de force, souvent vendus, chez des paysans riches. Face à l’indifférence de son père qui disait 'On n'y peut rien, c’est la volonté de Dieu', il se révolte: "Cette réponse était inacceptable pour moi. C'est pourquoi j’ai rompu avec lui à ce moment-là."
Che Guevara m'a sauvé la vie. Sans formation militaire, j'aurais probablement fini enterré dans une fosse commune au Guatemala ou au Venezuela
Son parcours prend une autre dimension en 1964, lorsque le jeune homme, alors militant communiste, est chargé d'accompagner Che Guevara, venu à Genève pour représenter Cuba à la première Conférence sur le sucre. Un jour, alors qu'il devait partir, et que Jean Ziegler voulait le suivre jusqu'en Amérique du Sud, Che Guevara lui a déconseillé de le faire. "Alors qu'à Genève, on voyait toutes sortes de réclames pour les grandes banques, les assurances et les bijoutiers, il m'a dit 'C’est ici, au cœur du système, que tu dois te battre, car c’est là que se trouve le cerveau du monstre'", se rappelle-t-il.
"Il m'a sauvé la vie. Sans formation militaire, j'aurais probablement fini enterré dans une fosse commune au Guatemala ou au Venezuela", poursuit-il. Mais il lui a surtout donné une stratégie pour son combat: l’intégration subversive, autrement dit "utiliser sa place dans le système pour le changer". "C’est ce que j’ai essayé de faire toute ma vie."
"Marxiste croyant"
Croyant profondément en Dieu, Jean Ziegler se définit comme un "marxiste croyant". Cette posture rare, conçoit-il, lui permet de concilier sa lutte pour la justice sociale et sa foi en une force transcendante. "C'est possible, car grâce à Marx, nous disposons des outils pour organiser la résistance." Avant de poursuivre: "Et en même temps, il y a tellement d'amour dans le monde qu'il doit y avoir une source à cet amour quelque part. Et cette source, c'est Dieu."
La prédestination calviniste est intolérable, car elle nie la possibilité d’agir sur son destin
Tournant le dos à son milieu d'origine calviniste bernois, il se convertit au catholicisme qui "exprime mieux la richesse de la parole de Dieu", critiquant notamment la prédestination calviniste: "Elle est intolérable, car elle nie la possibilité d’agir sur son destin. Le destin de l'Homme, c'est l'émancipation. La vie a un sens, l'Histoire a un sens. On ne naît pas par hasard sur cette planète."
Tout faire pour changer le monde
Une citation de la chanteuse argentine Mercedes Sosa figure en exergue de son livre: 'Je demande une seule chose à Dieu: que la mort ne me trouve pas seul et vide sans que j’aie fait ce qui était nécessaire sur cette terre.'
Il s'agit ni plus ni moins que son credo, souligne-t-il. "J’essaie de faire ce qui est nécessaire pour changer ce monde." Une tâche difficile, mais cruciale, pour celui qui croit que l'éveil des consciences est la seule chance pour avoir un avenir meilleur.
Propos recueillis par Philippe Revaz
Adaptation web: Fabien Grenon