L'intelligence artificielle pourrait coûter cher aux automobilistes à l'heure du plein

Que se passe-t-il lorsqu'un ordinateur fixe le prix du carburant dans la station où vous faites le plein? Rien de bon pour vous. Si votre fournisseur de sans plomb ou de diesel n'a pas de concurrent proche, sa marge augmentera simplement de 9%. S'il y a une autre station dans les parages, les conséquences seront pires. Pour peu que cet autre vendeur soit équipé du même logiciel de fixation des tarifs, les marges décolleront de 28%.

Ces chiffres ressortent d'une étude menée par une équipe canado-française en Allemagne.

Une menace déjà présente en Suisse

Appliquées au marché suisse, ces hausses avoisineraient 10 centimes par litre. Pour un plein de 40 litres, l'intelligence artificielle alourdirait la facture d'environ quatre francs, qui partiraient directement dans la poche de votre distributeur.

Ces calculs ne relèvent pas de la science fiction. En Suisse aussi, l'intelligence artificielle (IA) se développe dans la fixation du prix de l'essence. Migrol, filiale de Migros, est explicitement citée sur le site du fournisseur d'intelligence artificielle A2i. On peut même y lire l'éloge de l'un de ses collaborateurs, Marc Wettstein, spécialiste des prix des carburants: "La collaboration avec A2i a toujours été très professionnelle et amicale (…)". Sollicitée, l'entreprise se refuse de commenter.

Les algorithmes peuvent constituer une menace pour la concurrence. Les autorités britanniques, françaises et allemandes ont publié des rapports en 2018 et 2019 sur cette thématique. Qu'en est-il en Suisse, où les marges sur les carburants ont connu une importante croissance ces dernières années? Interrogée par la RTS, Andrea Graber Cardinaux, vice-directrie de la Commission de la concurrence, confirme que la Confédération est préoccupée par cette question. "C'est un sujet très discuté par les spécialistes du droit des cartels mais il y a peu de cas pratiques à ce jour."

Pas d'enquête en cours

Elle précise que toutes les utilisations de logiciels pour aider à décider des tarifs ne sont pas problématiques. Le risque réside dans l'utilisation d'un outil informatique pour synchroniser les prix avec des concurrents.

Concernant l'exploitation d'un algorithme par un distributeur de carburant suisse, elle se montre prudente: "il y a beaucoup de facteurs qui influencent l'évolution des prix, comme la capacité des raffineries, les situations de pénurie. Il est totalement incertain que les logiciels soient la cause de l'augmentation des marges".

Sur la base des études existantes, elle estime tout de même que c'est "une affaire à suivre". Les hausses observées dans la distribution d'essence en Suisse ne suffisent pas à motiver une enquête, qui nécessite "des indices plus concrets d'un accord illicite via ces technologies".

L'affaire se corse lorsque l'on demande quels pourraient être ces indices. Après une hésitation, Andrea Graber Cardinaux répond qu'il pourrait s'agir "de clients ou de concurrents qui se plaignent avec des informations concrètes, ou alors des auto-dénonciations".

Pascal Jeannerat, Tybalt Félix