C'est la première fois que la CEDH condamne un Etat pour son manque d'initiatives pour lutter contre le changement climatique. Ce jugement historique est une décision juridiquement contraignante qui devrait faire jurisprudence dans les 46 Etats membres du Conseil de l'Europe.
Cette affaire était portée par les "Aînées pour le climat" (2500 Suissesses âgées de 73 ans en moyenne) et quatre de ses membres qui avaient développé en plus des requêtes individuelles, lesquelles ont été rejetées. La requête de l'association dénonçait des "manquements des autorités suisses pour atténuer les effets du changement climatique qui ont des conséquences négatives sur les conditions de vie et la santé".
La Cour a dit à une majorité de 16 voix contre une qu'il y a eu violation de l'article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention des droits de l'Homme et, à l'unanimité, violation de l'article 6 relatif à l'accès à un tribunal. La Cour affirme ainsi que l'article 8 consacre le droit à une protection effective, par les autorités de l'Etat, contre les effets néfastes graves du changement climatique sur la vie, la santé, le bien-être et la qualité de vie.
En mai 2020, le Tribunal fédéral avait rejeté le recours de l'association. Il avait estimé notamment que les femmes âgées n'étaient pas davantage concernées par les conséquences du changement climatique que d'autres groupes de la population.
"Enormément de joie et de reconnaissance"
C'est vraiment un jour très spécial", s'est réjoui Raphaël Mahaim mardi dans le 12h30. Le conseiller national vert vaudois est un des avocats des "Aînées pour le climat". "Obtenir une victoire aussi claire, aussi nette, avec des développements juridiques aussi courageux de la Cour, c'est vraiment une immense satisfaction", souligne l'avocat, qui évoque "énormément de joie et de reconnaissance". A présent, "il va y avoir un débat en Suisse, pour savoir comment se conformer à la décision de la Cour", souligne Raphaël Mahaim.
"L'arrêt d'aujourd'hui est un arrêt historique et nous sommes vraiment très heureuses d'avoir porté ceci jusqu'à la Cour européenne des droits de l'Homme", a déclaré Anne Mahrer, co-présidente des "Aînées pour le climat". "Maintenant, nous allons être extrêmement attentives à ce que la Suisse mette en oeuvre la décision", a-t-elle ajouté.
La présidente de la Confédération surprise par le verdict
La présidente de la Confédération Viola Amherd se dit surprise par le jugement. La durabilité, la biodiversité et l'objectif zéro net sont "très importants" pour le pays, ajoute-t-elle. La conseillère fédérale est très intéressée par les considérants de l'arrêt de la CEDH à la plainte des Aînées. Elle dit avoir hâte de lire les détails du jugement et prévoit ensuite de faire une déclaration.
"C'est un jugement important soigneusement détaillé, qui oblige la Suisse à prendre des mesures", a déclaré de son côté Alain Chablais, le représentant du gouvernement suisse à la Cour de Strasbourg. Il précise que la Suisse "prend évidemment acte" du jugement "qui a peut-être même une portée historique".
L'affaire devient maintenant politique: il reviendra au comité des ministres du Conseil de l'Europe de superviser les mesures que prendra la Suisse pour remédier à ses manquements.
Soutien de Greta Thunberg
Des dizaines de personnes étaient réunies mardi matin devant la Cour européenne des droits de l'homme, dont la jeune militante écologiste suédoise Greta Thunberg. "La justice climatique est un droit de l'Homme", proclamait en anglais une banderole bleue tenue par des membres des "Aînées pour le climat".
La condamnation de la Suisse "n'est qu'un début en matière de contentieux climatique", a salué Greta Thunberg, à l'issue de l'audience de la CEDH. "Partout dans le monde, de plus en plus de gens traînent leurs gouvernements devant les tribunaux pour les tenir responsables de leurs actions. En aucun cas nous ne devons reculer, nous devons nous battre encore plus parce que ce n'est que le début", a déclaré la militante à Strasbourg.
ats/afp/lia
"Un jugement historique pour la Suisse"
"Une des instances juridiques les plus importantes au monde confirme ce que le mouvement climatique affirme depuis longtemps en vue du budget global de CO2 restant: la politique climatique suisse est insuffisante", relève la Grève du climat dans un communiqué. Le mouvement salue "une décision historique".
Le mouvement attend désormais du Conseil fédéral et du Parlement qu'ils mettent tout en oeuvre pour respecter l'objectif mondial de la limite de 1,5 degré d'augmentation de la température.
Nombreuses réactions politiques en Suisse
L'UDC, fâchée par ce verdict, exige que la Suisse sorte du Conseil de l’Europe. "Les juges de Strasbourg sont les marionnettes des activistes. Leur immixtion dans la politique suisse est inacceptable pour un pays souverain", tonne le premier parti de Suisse. L'UDC dénonce "une violation massive de la séparation des pouvoirs" par la CEDH.
De son côté, le Parti socialiste salue le verdict. Le Conseil fédéral doit mettre le jugement en application le plus vite possible, demande le parti. "Une solution est déjà sur la table", estime le co-président Cédric Wermuth, citant l'initiative pour un fonds climat, déposée par le PS et les Vert-e-s.
Pour le président des Vert'libéraux Jürg Grossen, le jugement n'est pas une surprise. "Nous savons que nous ne faisons pas assez pour le climat", dit-il, estimant qu'il est juste que cela ait été constaté maintenant au niveau international. Selon le conseiller national bernois, davantage d'efforts sont nécessaires dans les cantons, par exemple à la promotion de l'assainissement des bâtiments.
La condamnation de la Suisse est "un non-respect de la démocratie directe à la suisse", estime pour sa part sur X le conseiller national Nicolo Paganini (Centre/SG). Le vice-président de la commission de l'environnement du National a rappelé que c'est le peuple et non le Parlement qui a rejeté la loi sur le CO2 en juin 2021.
En acceptant des revendications politiques, la CEDH sort de son rôle, estime sur X le conseiller national Philippe Nantermod (PLR/VS). Elle porte aussi atteinte à sa propre crédibilité, selon le vice-président du PLR pour qui il appartient aux autorités démocratiques d'établir l'agenda politique des Etats en matière climatique, pas aux juges.
"C'est une victoire historique que nous vivons aujourd'hui", a déclaré la présidente des Verts Lisa Mazzone. Selon elle, les conséquences de ce verdict sont comparables à celles de l'Accord de Paris et cette décision confirme le fait que le droit à un environnement sain est un droit fondamental, parlant de changement de paradigme.
La France pas condamnée
La Cour européenne des droits de l'homme a jugé mardi irrecevable la requête de l'ancien maire écologiste de Grande-Synthe (Nord), Damien Carême, qui lui demandait de faire condamner l'Etat français pour inaction climatique.
Damien Carême accusait la France de manquer à son obligation de garantir le droit à la vie et le respect de la vie privée et familiale en ne luttant pas suffisamment contre le changement climatique. Il affirmait notamment que cette inaction exposait Grande-Synthe à un risque d’inondation du fait du changement climatique.
Requête de jeunes Portugais jugée irrecevable
La Cour européenne des droits de l'homme a aussi déclaré irrecevables les requêtes de jeunes Portugais ayant dénoncé l'inaction de leur pays et de 31 autres Etats, dont la Suisse, face au changement climatique. Les requérants n'ayant pas épuisé les voies de recours disponibles au Portugal, leurs requêtes ne remplissent pas les conditions de recevabilité, a expliqué la présidente de la Cour Siofra O'Leary, en prononçant cette décision à Strasbourg.