La double vie "intense et magique" de la violoncelliste et parlementaire Estelle Revaz
Entre deux concerts aux quatre coins du monde et la sortie de son sixième album, Estelle Revaz (PS/GE), 35 ans, arpente depuis lundi les couloirs du Parlement pour la session d'hiver des Chambres fédérales. La conseillère nationale genevoise n'en délaisse pas pour autant son violoncelle de 1679, baptisé Louis XIV "pour les intimes". Chaque matin, elle se lève "un petit peu tôt" pour pouvoir faire ses heures de violoncelle avant les séances plénières.
De 4 h à 8 h du matin, la Valaisanne d'origine prend possession de la "Zimmer Fünf" du Palais fédéral pour répéter. "Le bâtiment est vide, il y a un grand silence. Ce sont des conditions optimales pour pouvoir travailler", explique-t-elle dans La Matinale, dévoilant aussi que, parfois, certains de ses collègues parlementaires entrouvrent la porte pour l'écouter jouer, mais toujours "avec respect".
Une double vie "intense", "magique", et qui est rendue possible grâce au système de milice du Parlement helvétique. Au final, "tout s'organise bien", relève la violoncelliste formée au Conservatoire de Sion, puis au Conservatoire national supérieur de musique et de Paris.
On pouvait se dire que ce n'était pas compatible, qu'en m'engageant en politique, j'allais perdre ma carrière artistique. Mais ce n'est pas du tout ce qui s'est passé
De la scène au Parlement
Son élection surprise en octobre 2023 a propulsé Estelle Revaz dans les arcanes du pouvoir politique, faisant de la musicienne l'une des premières représentantes du domaine de la culture à siéger à Berne. La jeune femme, qui a choisi le PS pour s'engager, mais qui révèle avoir été approchée par le PLR et le Centre, s'était lancée en politique après avoir été révoltée par les lacunes en matière de protection sociale vis-à-vis des acteurs et actrices culturels durant la pandémie de Covid-19 et la très grande précarité qui en a découlé.
"On aurait pu dire que c'était circonstanciel, que c'était à cause du Covid, mais on a bien vu que ce n'était pas le cas, qu'il s'agissait d'un problème de fond et qu'il fallait faire partie du jeu politique et le comprendre pour pouvoir changer cela", constate-t-elle.
Estelle Revaz appelle ainsi le milieu de la culture à mieux s'organiser pour peser en politique: "J'ai osé le pari. On pouvait se dire que ce n'était pas compatible et qu'en m'engageant en politique, j'allais perdre ma carrière artistique. Mais ce n'est pas du tout ce qui s'est passé. J'ai tout à fait le même nombre de concerts, les salles sont pleines. C'est juste une question de rigueur et de volonté, mais c'est possible."
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Une méthode basée sur la relation humaine
Dans sa façon de faire de la politique, la Genevoise voit des similarités avec la musique, comme la recherche du compromis et de l'harmonie. "Entre musiciens, chacun a sa vision de l'œuvre et chacun doit pouvoir jouer avec son cœur et exprimer ses valeurs profondes. Cette recherche se fait avec une précision de détail incroyable", explique-t-elle. "En politique, j'essaie de parler avec tous mes collègues, quelles que soient leurs sensibilités politiques, mais en étant claire avec mes valeurs tout en étant aussi à l'écoute des leurs. On a parfois des visions assez différentes, mais qui s'enrichissent l'une et l'autre."
Depuis un an, Estelle Revaz pratique justement la politique avec cette méthode basée sur la relation humaine. Cette ouverture à l'autre lui a permis de faire passer au Parlement deux objets qui lui tenaient à cœur: une meilleure protection sociale des actrices et acteurs culturels et l'instauration d'une stratégie de lutte contre la pauvreté.
Il y a parfois un certain dogmatisme qu'il faut dépasser
"C'est la plus belle chose qui me motive aussi au quotidien en politique: voir que tout d'un coup, des gens de tous les partis, qui avaient une vision du monde assez différente, acceptent cet enrichissement mutuel et à la fin, ils tirent tous à la même corde. C'est extrêmement émouvant", avoue Estelle Revaz.
La talentueuse musicienne admet cependant avoir été parfois déçue politiquement: "Quelquefois, l'égo prend le dessus sur le but ou l'objet que quelqu'un veut défendre. Mais ça fait partie du jeu politique. Il y a aussi un certain dogmatisme qu'il faut arriver à traverser. Le premier a priori, c'est souvent: 'Ah, ça ne vient pas de nous, donc ce n'est pas bien', et je trouve ça dommage. Mais comme j'ai pu le voir, à force de travail et d'engagement, on peut aussi arriver à passer outre et c'est là que les choses deviennent intéressantes et presque magiques."
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Propos recueillis par Pietro Bugnon
Article web: Jérémie Favre