Comme celui de l'électricité, le marché du gaz a été mis sous pression par la pandémie de Covid-19, les craintes de pénurie d'énergie et l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Mais le marché est à nouveau "plutôt stable". "On est bien approvisionné", rassure René Bautz, directeur de la société vaudoise Gaznat.
"Les prix ont fortement baissé, donc c'est plutôt une situation stable", détaille-t-il en notant que le mégawattheure coûte entre 24 et 25 euros. "On n'est pas loin maintenant des prix d'avant la crise."
L'invité reste toutefois prudent: "Ça ne veut pas dire qu'on ne risque pas d'avoir un problème à l'avenir, étant donné les tensions géopolitiques qui existent. Il faut donc être prêt au cas où une tension resurgit."
La "diversification" pour remplacer le gaz russe
Très dépendante du gaz russe, la Suisse a dû trouver des alternatives pour le remplacer dans le contexte de la guerre en Ukraine, avec la baisse des volumes russes. Il y a "une grande diversification", note René Bautz en énumérant la mer du Nord, grâce à la Norvège, et l'Afrique du Nord, via des contrats avec l'Algérie. En outre, la Suisse s'est "essentiellement" tournée vers le gaz naturel liquéfié, précise l'invité de la RTS.
Il relève encore que la demande a baissé, permettant "de surmonter" la situation.
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Cette crise a été un "moment tendu", se souvient-il. "On a dû rapidement prendre des dispositions, notamment rechercher de nouvelles sources (...) Avec le Conseil fédéral, on a mis en place de nouvelles ordonnances pour la sécurisation, avec davantage de stockage, jusqu'à 15% de la consommation."
La Suisse alémanique étant plus dépendante du gaz russe que la Suisse romande, des investissements ont été réalisés pour faciliter le flux à rebours sur le gazoduc qui lie les deux régions, précise René Bautz.
Solidarité avec les pays voisins
L'approvisionnement du gaz en Suisse est aussi assuré par la solidarité des pays voisins, assure René Bautz.
"Nous avions déjà un accord inter-Etats de 2009 qui nous sécurisait l'accès au stockage de gaz en France, où nous stockons une partie de notre gaz pour l'hiver. Et, depuis récemment, un accord de solidarité signé entre l'Allemagne, l'Italie et la Suisse permettant de sécuriser la situation, notamment en cas de pénurie ou de restriction. Avec un accord d'échange ou d'entraide entre ces trois pays", développe-t-il.
>> Lire : Berne, Berlin et Rome signent un accord sur une entraide en cas de pénurie de gaz
Projet de stockage dans les Alpes suisses
Afin d'anticiper d'éventuelles futures crises, Gaznat travaille sur un projet de stockage sur sol helvétique. "Nous avons fait plusieurs forages de reconnaissance pour pouvoir éventuellement construire dans les Alpes ce qu'on appelle des cavités rocheuses qui permettraient de stocker du gaz et du gaz renouvelable", avance le futur ex-patron de l'entreprise vaudoise. Cette installation serait utile aussi bien à la sécurité d'approvisionnement qu'à l'équilibre de l'offre entre l'été et l'hiver.
René Bautz détaille le calendrier de l'avancement du projet: des discussions sont en cours avec l'Office fédéral de l'énergie sur le sujet. Une fois terminées, il faudra voir quelles sont les conditions-cadres et la réglementation à mettre en place, puis faire les premières études de l'avant-projet et demander le permis de construire. "C'est pour après 2030, ce n'est pas pour demain", lance l'invité de la RTS.
Le projet pourrait coûter entre 400 et 450 millions de francs pour quatre cavités d'environ 1,5 térawattheure, précise la responsable.
Le gaz renouvelable comme solution à l'approvisionnement hivernal
René Bautz avance aussi que la molécule du gaz renouvelable pourrait permettre de mieux faire face aux difficultés d'approvisionnement de la Suisse en hiver. On a "une surproduction d'électricité en été, mais pas assez en hiver." Or, le gaz renouvelable (lire encadré) "est beaucoup plus facilement stockable".
Propos recueillis par Pietro Bugnon
Adaptation web: Julie Marty
L'avenir du gaz est celui de sa version renouvelable
Interrogé sur l'avenir du gaz, René Bautz confie que le marché existe encore. La crise "n'a pas complètement détourné les clients du gaz", assure-t-il.
"Nous espérons beaucoup développer encore ce marché, surtout avec les gaz renouvelables", complète-t-il. Ce dernier peut venir en complément d'une autre source d'énergie. Pour les particuliers par exemple, "plusieurs systèmes cohabiteront ensemble, aussi bien les pompes à chaleur que les installations de cogénération, et puis d'autres installations où le gaz aura toujours un rôle à jouer", note le directeur de Gaznat. D'autant que les pompes à chaleur ne peuvent pas être installées n'importe où, "surtout dans le centre des villes".
Il existe plusieurs types de gaz renouvelable, selon René Bautz: le biogaz, le gaz de synthèse, créé "à partir de l'électricité renouvelable et de CO2", et l'hydrogène.
Objectif neutralité avant 2050
Face à l'interdiction du gaz fossile pour le chauffage en 2040 dans le canton de Vaud, le directeur de Gaznat est conscient qu'il faut aller de l'avant. Son objectif est la "décarbonisation" de son industrie, dit-il. "On s'est fixé l'objectif du quasiment zéro émission de CO2 en 2050".
Pour réussir, l'entreprise teste des prototypes développés par l'EPFL dans son centre à Aigle. "On a par exemple mis en place de nouvelles membranes qui permettent de capter le CO2 (...) et un réacteur de méthanisation pour combiner le CO2 et l'hydrogène (...) pour produire du gaz de synthèse", développe René Bautz.
>> Pour en savoir plus, lire : A Aigle, Gaznat développe une plateforme pour du gaz renouvelable neutre en CO2
"Talents" suisses
Le directeur est confiant pour le futur, car il sait qu'il peut compter sur les ingénieurs suisses dans cette transition vers le gaz durable.
"Je pense qu'on a vraiment de la chance d'avoir des talents chez nous. On a aussi des universités, des écoles polytechniques vraiment à la pointe dans ce domaine-là. Et puis, je crois que c'est ce qui fait la force de la Suisse finalement", conclut-il.