"Le service de lettres et colis restera de très haut niveau", assure Roberto Cirillo, patron de La Poste
Roberto Cirillo explique avoir dû s'adapter aux bouleversements de ces quatre dernières années. Des bouleversements qui ont modifié la façon de fonctionner de la Suisse, mais aussi d'autres pays. "L'élément principal a été la chute de 60% des paiements en espèces au guichet avec l'introduction des paiements digitaux", souligne-t-il mercredi dans le 19h30.
Les offices de poste comme ils ont été conçus ces 100 dernières années ne sont plus à la hauteur des demandes de nos clients
"Notre plus grand défi d'ici aux cinq prochaines années sera de compenser les milliers de collaboratrices et collaborateurs qui vont partir à la retraite", a-t-il également déclaré dans Forum. "Pour ce faire, il faudra recruter des centaines de personnes partout en Suisse afin de maintenir un service de très haute qualité, tout en développant de nouveaux formats."
"Les habitudes des Suisses ont changé. Les offices de poste comme ils ont été conçus ces 100 dernières années ne sont plus à la hauteur des demandes de nos clients", a-t-il encore poursuivi dans La Matinale ce jeudi. "On ne fait que s'adapter à la réalité." Aujourd'hui, la Suisse est digitale. "Il n'y a que 100'000 personnes qui n'ont pas de smartphone aujourd'hui en Suisse, c'est une partie trop petite de la population pour baser l'entièreté du service public sur elle."
Des économies à faire
Pour Roberto Cirillo, il est primordial pour La Poste de faire des économies. Mais si ces mesures sont censées coûter moins cher sur le long terme, elles demandent d'abord des investissements. "Notre objectif est de pouvoir maintenir un service public de très haute qualité - comme on le connaît en Suisse et qui est unique au monde - qui soit encore payable", a-t-il développé au micro de La Matinale. Avant d'ajouter: "La Poste est sur des marchés libres, il faut qu'elle puisse être compétitive. Et tous les services publics sont payés par la Poste elle-même, ce n'est pas payé par l'État".
On a une perte de plus de 5 millions avec les offices postaux. Cette perte grimperait si on n'opère pas une transformation significative dans les prochains quatre ans
Les 250 millions de francs de bénéfices engrangés en 2023 par La Poste n'y changent rien. "On a une perte de plus de 5 millions avec les offices postaux. Cette perte grimperait si on n'opère pas une transformation significative dans les quatre prochaines années. Une fois encore, on est en train de parler d'un plan stratégique sur un objectif fixé à 2028, ce n'est pas pour demain."
>> Lire à ce sujet : La Poste va fermer 170 filiales en Suisse
Quid de ses promesses faites en 2023
Confronté à sa déclaration faite en mai 2023 sur Forum, dans laquelle il promettait de ne pas fermer d'offices, le directeur général du géant jaune se défend: "Je parlais à l'époque de la stratégie 2021-2024 qui prévoyait une stabilisation des réseaux. Or, on arrive exactement à la fin de cette période".
Il assure en outre que, malgré la fermeture de 20% des filiales, le service des lettres et colis "restera de très haut niveau".
Plus de 100 millions de francs investis
La Poste a également annoncé investir plus de 100 millions de francs dans le personnel et dans la modernisation de ses filiales pour les quatre prochaines années. "Notre réseau actuel, bâti ces cent dernières années, n'est pas adapté aux besoins du futur", estime Roberto Cirillo.
Le groupe n'a pas encore décidé quels sites seraient fermés. Le géant jaune continuera de disposer d'un réseau couvrant l'ensemble du territoire, avec 600 offices exploités en propre et 2000 sites desservis partout en Suisse, dans les vallées comme dans les villes.
L'intérêt de La Poste, c'est que nos clients puissent atteindre et acheter nos services. Parce que c'est de cela que nous vivons et que nous payons les salaires de nos collaboratrices et collaborateurs. Nous ne recevons pas de subventions
Dans La Matinale, le directeur de La Poste explique que le dialogue va maintenant démarrer avec les autorités, les communes, les cantons et ses propres équipes sur le terrain "pour savoir quels sont les formats les plus adaptés aux différentes situations qu'on a en Suisse. Et définir à travers ceci, de manière très solide, quel est le réseau qu'on veut avoir en 2028". Et définir quels sites fermeront.
Mais Roberto Cirillo le garantit: "les 170 filiales qui auront fermé leurs portes d'ici à quatre ans seront remplacées par des offres alternatives". Il s'agit notamment de partenariats avec des boulangeries, des épiceries de village ou encore des maisons de retraites se proposant d'offrir des services postaux. "L'intérêt de La Poste, c'est que nos clients puissent atteindre et acheter nos services. Parce que c'est de cela que nous vivons. Nous ne recevons pas de subventions."
Solutions alternatives pas toujours bien vues
Ces solutions alternatives ne sont toutefois pas toujours bien vues, comme à Prez-vers-Noréaz, entre Fribourg et Payerne, où la commune fribourgeoise est orpheline de son office postal depuis fin 2021. Si La Poste avait approché les autorités locales pour leur proposer de reprendre le flambeau, la commune s'était empressée de refuser, tout comme les magasins et restaurants locaux. Une situation que regrette Roberto Cirillo.
Les contrats signés avec les commerces ou restaurants permettent à ces derniers de couvrir une partie de leurs frais fixes. Et ça peut leur amener un peu de vie aussi
"Dans les endroits où des partenariats existent, c'est extrêmement bien reçu par la population et nos partenaires. Et personne n'est obligé de le faire", assure-t-il. Les partenariats conclus présenteraient aussi de nombreux avantages, poursuit-il. "Les contrats signés avec les commerces ou restaurants permettent à ces derniers de couvrir une partie de leurs frais fixes. Et ça peut leur amener un peu de vie aussi."
Et que dit-il aux personnes âgées qui n'ont pas de smartphone et ne peuvent plus se rendre à un guichet pour faire leurs paiements? "On continuera à les aider. Dans les endroits où on n'a pas pu installer ni maintenir une poste en propre ou un partenariat, on a mis en œuvre le service à domicile. Un postier se rend chez cette personne âgée et l'aide à faire ce qu'il faut faire."
Propos recueillis par Thierry Clémence, Philippe Revaz et Pietro Bugnon
Texte web: Hélène Krähenbühl et Fabien Grenon
Vives réactions après l'annonce de La Poste
La décision de La Poste de supprimer 170 filiales inquiète vivement les syndicats. "Visiblement, le management de La Poste a une vision d'une Poste de demain qui fait le maximum de profit sans se préoccuper du peuple", se désole David Roth, syndicaliste et conseiller national (PS/LU), sur la RTS.
En outre, l'investissement annoncé de 100 millions de francs dans le renouvellement du réseau laisse les politiques circonspects. "Je ne sais pas ce qu'il restera à la fin du réseau postal universel, et encore une fois, de ce service public. Pour nous, ce qui est vraiment essentiel, c'est ce service public de proximité", déclare Baptiste Hurni, conseiller aux Etats (PS/NE).
Le canton du Jura, de son côté, ne cache pas son inquiétude de voir ses filiales disparaître. "La Poste nous dit que les communes concernées seront informées dès le mois de juillet. Au niveau cantonal, nous aurons des informations seulement à la mi-septembre. Nous sommes donc devant le fait accompli, c'est une situation très particulière", déplore David Eray, ministre jurassien en charge du Développement territorial.
Régions de montagne inquiètes
Dans les régions de montagne, cette restructuration inquiète aussi, comme l'explique dans La Matinale Patrice Clivaz, membre du comité au groupement des populations de montagnes du Valais romand. Pour lui, La Poste risque à nouveau de privilégier les régions où il y a le plus de concentration de population, donc les villes.
"Nous partons du principe qu'il faut garder un service dans les régions montagne pour que la population soit motivée à y vivre. Pas en plaine où il n'y a plus de place. On veut une Suisse décentralisée."