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Les initiatives populaires toujours plus alourdies par des dispositions transitoires

La Constitution fédérale suisse éditée dans les quatre langues nationales. [Keystone - Christian Beutler]
Les dispositions transitoires, ces petites clauses des initiatives populaires fédérales de plus en plus importantes / Forum / 3 min. / hier à 18:05
Lors des campagnes de votation, le fond des initiatives populaires fait l’objet de multiples débats, contrairement aux "dispositions transitoires" que personne ne lit. Pourtant, ces phrases placées à la fin des textes soumis à votation gagnent toujours plus en importance.

Les dispositions transitoires ont été créées pour régler de petits détails en attendant que le Parlement rédige la loi d'application d'une initiative acceptée. Elles sont de plus en plus longues, à tel point qu'elles prennent parfois plus de place que l'objet de votation lui-même. Année après année, elles deviennent aussi toujours plus précises et contraignantes.

C'est par exemple le cas de celles liées à l'initiative des Jeunes socialistes sur l'imposition des successions des ultra-riches. Les dispositions transitoires de ce texte qui vient d’aboutir prévoient que le nouvel impôt s'applique dès que le peuple aura voté "oui". Autrement dit, pas question d'attendre la loi d'application.

>> Lire à ce sujet : Les Jeunes socialistes veulent imposer les successions de plus de 50 millions

De plus en plus courant

Cette impatience est de plus en plus courante. Ainsi, sur les dix dernières initiatives en votation, sept fixaient un ultimatum au Parlement. Si celui-ci n'arrive pas à boucler la nouvelle loi en un, deux ou trois ans, le Conseil fédéral a l'obligation de mettre immédiatement en œuvre la modification de la Constitution voulue par le peuple.

C'est le cas par exemple de la 13e rente AVS. Votée en mars, elle devra être versée aux retraités au plus tard début 2026.

>> A ce propos, relire : La 13e rente AVS séduit la population, la retraite à 66 ans balayée par tous les cantons

Lenteur du Parlement pointée du doigt

Les dispositions de ce type ne sont pas totalement nouvelles: on pouvait déjà en croiser il y a 10 ans, mais elles étaient plus rares. A la fin du XIXe siècle, elles relevaient de l’exception, avec, sur les vingt premières initiatives, seules trois qui mentionnaient une date d'entrée en vigueur pour les mesures acceptées par le peuple.

Cette évolution traduit la méfiance de beaucoup d'initiants, qui ont eu l'impression par le passé que le Parlement traînait des pieds ou alors édulcorait les textes votés par le peuple.

L'UDC a par exemple mal vécu la mise en œuvre de ses initiatives contre l'immigration de masse et pour le renvoi des criminels étrangers. On a opposé à ces textes le respect du droit international. Alors, pour son initiative "Stop aux abus de l'asile" lancée en mai, l’UDC a prévu des dispositions transitoires qui forcent le Conseil fédéral à dénoncer les accords internationaux qui lui feraient barrage.

>> Pour en savoir plus, lire : L'UDC lance une initiative "pour la protection des frontières"

A gauche aussi, on admet recourir à ce stratagème. Le PS estime qu'il a eu raison de muscler les dispositions qui encadraient la 13e rente AVS quand il voit comment les partis bourgeois tentent de torpiller sa mise en œuvre.

Eviter le contournement des objectifs

Les dispositions transitoires sont également utiles pour éviter que les objectifs d'une initiative soient contournés durant le laps de temps qui précède l'entrée en vigueur de la loi d'application.

Ainsi, si les jeunes socialistes exigent que leur initiative sur les successions soit appliquée dès son éventuelle acceptation, c'est pour éviter que des multimillionnaires quittent la Suisse précipitamment – ce que certains auraient d'ailleurs déjà menacé de faire, avant même la campagne de votation.

>> Pour en savoir plus, lire : Divisions au PS face aux menaces de patrons de quitter la Suisse en cas d'impôt sur les successions

Pas une solution

Un juriste qui a consacré une thèse au sujet des dispositions transitoires relevait déjà en 2020 que cette nouvelle manière de faire n'est pas idéale. Le Conseil fédéral n'est en effet pas censé devoir se substituer au Parlement. Légiférer dans l'urgence peut paraître efficace, mais cela affaiblit les droits des cantons et du peuple. En clair: pour que le système politique fonctionne au mieux, il faut que chacun exerce les compétences qui lui sont attribuées par la Constitution, juge-t-il.

Sujet radio: Romain Carrupt

Adaptation web: juma

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