Les parents d'un combattant suisse du djihad sont accusés de "financement du terrorisme"
Le jeune homme était parti en 2015 depuis Genève pour rejoindre les rangs du groupe terroriste Etat islamique en Syrie. Le parquet fédéral reproche à ses parents, établis à Genève, d’avoir effectué une quinzaine de transactions entre 2016 et 2019 au bénéfice de leur fils.
Selon l’acte d’accusation du Ministère public de la Confédération, les parents savaient que leur garçon était un combattant. Il leur a envoyé des photos de lui "en habits traditionnels ou militaires, armé de différentes armes ou avec le drapeau de l’Etat islamique". Il leur a aussi raconté que l’organisation "finance tout" et qu'il vit avec "moins de 300 balles", selon des messages interceptés par les autorités et versés au dossier.
Entre 2016 et 2019, les transferts d'argent effectués sont allés crescendo. Ils passent de 300 francs à plus 40'000 francs pour la toute dernière transaction. Aux yeux du Ministère public de la Confédération, de telles sommes ont surtout permis de financer les activités du groupe terroriste. D’autant plus que l’argent envoyé depuis Genève a aussi terminé dans les poches d’un autre combattant.
Financer la vie quotidienne
Les avocats des parents balaient l'ensemble des accusations. L’argent envoyé par leurs clients aurait servi aux dépenses quotidiennes de leur fils, par ailleurs marié et père d’une petite fille. Concernant le dernier transfert de quelque 44'000 francs, il se serait agi de payer des passeurs pour extraire la famille de Syrie, au moment de la chute de l'EI.
Les avocats précisent encore que les parents n’auraient jamais adhéré à l’idéologie radicale du groupe Etat islamique et qu’ils sont de confession chrétienne. Ils décrivent deux parents qui seraient encore sous le choc de la radicalisation de leur fils et de son départ brutal dans une zone de guerre.
"50'000 francs, c’est un énorme montant"
Selon Hans-Jakob Schindler, expert en financement du terrorisme interrogé lundi dans La Matinale, "les personnes qui envoient de l'argent n'ont aucun contrôle sur ce que le combattant terroriste va en faire. Qu'il achète du nutella ou des pièces pour construire un engin explosif afin de tuer des soldats, ils ne le savent tout simplement pas. Donc, quand nous abordons des affaires [comme celle-ci], nous devons assumer que l'argent envoyé a pu financer l'achat de bombes ou d'autres armes".
L'expert s’étonne aussi des montants transférés par les parents genevois. Certes, les combattants étrangers du groupe Etat islamique n’avaient pas accès à beaucoup d’argent liquide, leur salaire n’étant pas très élevé, mais l’organisation terroriste leur fournissait une aide en nature, comme un logement gratuit, de la nourriture, des armes, un uniforme.
"Avec 40'000 ou 50'000 francs, vous pouviez acheter à l’époque des immeubles en Syrie", relève Hans-Jakob Schindler. "C’est un énorme montant. Et les combattants n’avaient clairement pas besoin d’autant d’argent pour leurs dépenses quotidiennes, comme elles étaient en grande partie couvertes par le califat."
Sujet radio: Marc Menichini
Adaptation web: Raphaël Dubois
Le père absent pour raisons médicales
Le procès des parents d'un Suisse parti pour la Syrie s'est ouvert ce matin devant le Tribunal pénal fédéral en l'absence du père, empêché pour raisons médicales. Après délibération, la cour a décidé que le procès se tiendrait sans lui. Il sera convoqué ultérieurement.
L'avocat du père a demandé une dispense complète de comparution en raison de l'état de santé de son client. Déjà invalide avant la radicalisation de son fils, ce septuagénaire souffre notamment de syndrome de stress post-traumatique après cette affaire, selon ses médecins. Il aurait aussi été gravement traumatisé par la procédure.
Le président de la Cour des affaires pénales a rappelé que la comparution personnelle est la règle en cas de crime, raison pour laquelle les demandes de dispense ont été rejetées jusqu'à présent. Les juges se sont retirés afin de discuter des options possibles: renvoi du procès, jugement par défaut, disjonction de cause ou comparution par vidéoconférence.
Un réseau secret d’intermédiaires financiers
Entre 2016 et 2019, si le groupe terroriste était au sommet de sa force, il avait été mis au ban de la communauté internationale. Il était interdit de transmettre de l’argent depuis la Suisse à l’un des combattants de ce groupe. Mais comme le confirment plusieurs experts, de nombreuses familles ont tout de même envoyé de l’argent à des proches partis faire le djihad, pour des raisons idéologiques, affectives ou les deux.
De manière similaire aux parents du djihadiste genevois, ils ont souvent fait appel à des intermédiaires sympathisants du groupe terroriste, soit des personnes établies en Libye, au Liban, en Turquie, mais également dans de nombreux pays européens, y compris en Suisse.
Certains de ces individus, des collecteurs de fonds, ont été inquiétés par la justice. Nombre d’entre eux avaient des liens avec des personnes à l’intérieur même du territoire sous contrôle du groupe Etat islamique. Cette chaîne d’intermédiaires a ainsi permis le transfert d’importants montants vers les combattants étrangers de l'organisation terroriste.