Jusqu'ici, les médecins pouvaient appliquer une taxe d'urgence d'environ 40 francs pour les consultations en dehors des heures conventionnelles. Mais depuis cet été, les assureurs adressent de plus en plus de courriers exigeant une révision de leurs pratiques de facturation en s'appuyant sur la décision du Tribunal fédéral. Ce changement affecte plusieurs centaines de structures en Suisse, notamment les cabinets de groupe et les permanences médicales privées.
La plupart de ces indemnités sont désormais refusées par les assureurs, qui réclament même parfois leur remboursement rétroactif sur cinq ans. Ces demandes peuvent atteindre des montants de plusieurs centaines de milliers de francs, au point de menacer, selon de nombreuses structures, leur viabilité financière.
"Cette décision met en péril notre groupe"
"Concrètement, dans une structure comme la nôtre, pour chaque médecin en activité, il faut environ cinq personnes pour l'assister. Sans le soutien financier que représentent ces taxes, nous ne pouvons plus payer nos employés. Cela met en péril l’ensemble de notre groupe, ce qui signifie que 400 emplois pourraient disparaître", s'est ainsi inquiété Patrick Marquis, directeur médical du groupe Vidymed, jeudi dans le 19h30 de la RTS.
Sans le soutien financier que représentent ces taxes, nous ne pouvons plus payer nos employés
"Nous pouvons penser que certains grands cabinets avaient fait de la perception de cette taxe d'urgence un modèle d'affaires, basé sur une interprétation quelque peu discutable du Tarmed", a pour sa part répliqué Christophe Kaempf, le porte-parole de Santésuisse, la principale faîtière des assureurs.
Vives réactions du milieu médical
Pour le Groupe Vidymed, il est impensable de poursuivre les consultations d'urgence sans percevoir la taxe, quitte à aller à l'encontre de la décision du Tribunal fédéral en continuant à facturer. Certaines structures réfléchissent de leur côté à réduire leur offre de services d'urgence. D'autres craignent même la faillite. Un scénario qui pourrait entraîner un afflux de patients vers les urgences des hôpitaux, déjà saturées.
Face à cette situation jugée alarmante, le milieu médical ne tait pas son indignation. Les pédiatres genevois ont d'ailleurs annoncé mercredi une grève des gardes pour attirer l'attention du monde politique. Les médecins dénoncent de manière générale une atteinte à leur dignité et au respect de leur travail. Ils soulignent également que ces mesures touchent principalement les médecins de premier recours, déjà peu valorisés.
La contestation dépasse largement la frontière de Genève. Dans le canton de Vaud, ces demandes de remboursements rétroactifs sont également mal vécues. Beaucoup se sentent traités comme des fraudeurs, ce qui ajoute à leur frustration et leur colère.
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Verena Nold défend les assureurs face aux critiques
Interrogée sur le sentiment des médecins d'être traités comme des fraudeurs, Verena Nold, directrice de SantéSuisse, rejette cette accusation: "On ne peut pas dire cela. Ils ont peut-être un peu mal interprété le tarif, qui a été créé par les médecins eux-mêmes il y a 20 ans. Ils auraient dû le respecter, il avait d'ailleurs aussi été approuvé par le Conseil fédéral", a-t-elle estimé dans l'émission Forum de la RTS.
Si l’on souhaite changer la situation, il faudrait améliorer le tarif médical, mais cela nécessite également l’approbation du gouvernement
Sur la question sensible du remboursement rétroactif de ces taxes d’urgence, parfois jusqu'à cinq ans en arrière, la directrice souligne que cette mesure découle de la décision du Tribunal fédéral. "Cette facturation ne correspondait pas aux tarifs approuvés par le Conseil fédéral". Et si l’on souhaite changer la situation, note-t-elle, "il faudrait améliorer le tarif médical, mais cela nécessite également l’approbation du gouvernement".
Un autre point de discorde concerne l’utilisation des sommes remboursées. Alors que certains assurés espéraient un remboursement direct, Verena Nold justifie le choix des assureurs de conserver ces fonds dans leurs réserves en invoquant la question des coûts. "Les analyses pour redistribuer directement ces montants coûteraient encore plus cher. En intégrant ces fonds dans les réserves, les assurés en profiteront tout de même, car cela permettra de modérer les augmentations de primes."
L'issue de ce bras de fer déterminera l'avenir d'un système déjà engorgé par les consultations d'urgence.
Sujets radio: Juliette Jeannet et Valentin Emery
Sujet TV: Pierre Jenny
Texte web: Hélène Krähenbühl
"La balle est dans le camp des assureurs", estime Mathias Reynard
Pour Mathias Reynard, conseiller d'Etat valaisan en charge de la Santé, la décision du Tribunal administratif fédéral est une "catastrophe" pour les centres d'urgences médicales, la patientèle et les hôpitaux, où "nous devrions penser à protéger le personnel des urgences plutôt que d'augmenter encore la pression sur lui".
Vendredi dans La Matinale de la RTS, le socialiste a également pointé les répercussions sur l'ensemble du système de santé. "C'est une très mauvaise chose en termes de réorganisation. Et cela va conduire à une augmentation des primes." D'un point de vue juridique, il n'existe par ailleurs pas de base légale pour soutenir des groupes privés, a-t-il souligné.
"Les assureurs ont aujourd'hui une grande responsabilité. La balle est dans leur camp. S'ils appliquent [la décision du Tribunal fédéral] avec brutalité en demandant la rétroactivité à ces centres, les assureurs savent très bien qu'ils les poussent à la fermeture pure et simple", estime le ministre valaisan.
"Les assureurs aiment se présenter comme les représentants des payeurs de primes. Si c'est le cas, ils ne doivent pas demander cette rétroactivité", car cette mesure aura des conséquences sur les assurés, ajoute encore Mathias Reynard.