L'intelligence artificielle permet de travailler de manière plus productive, de réduire les coûts et d'augmenter les revenus. Dans une récente étude menée par le cabinet de conseil EY, 81% des managers suisses ayant participé à l'enquête ont déclaré avoir utilisé avec succès l'IA pour réduire les coûts et augmenter les bénéfices. Ce pourcentage place la Suisse en tête des pays européens en matière de transformation du travail par l'IA, selon EY.
Mais les travailleurs peuvent-ils vraiment dormir sur leurs deux oreilles et ne pas s'inquiéter des risques de l'IA? Algorithm Watch CH a mis en évidence certaines lacunes du système juridique suisse et de la protection des employés contre les effets de l'IA dans des domaines tels que le recrutement, le contrôle de la productivité ou la surveillance.
Plus de travail et plus de stress à cause de l'IA
Contrairement à d'autres pays européens, la Suisse possède un droit du travail plutôt libéral. Les employeurs disposent de certaines libertés lorsqu'il s'agit de licencier du personnel, par exemple. Ils ne sont pas tenus d'informer et de consulter les employés sur l'utilisation des nouvelles technologies si celles-ci n'ont pas d'impact direct sur leur santé et leur sécurité.
Les entreprises sont de plus en plus exigeantes, car la technologie le permet
En Suisse, lorsque l'IA est introduite sur un lieu de travail, les employés ne sont généralement pas consultés, indique Isabelle Wildhaber, professeur de droit du travail à l'Université de Saint-Gall. "Pourtant, l'IA a souvent des répercussions sur la santé et la sécurité du personnel", souligne-t-elle. Elle cite en exemple la détresse psychologique ou l'épuisement professionnel dus à l'augmentation de la productivité ou au sentiment d'être "surveillé".
Si les outils d'IA générative tels que ChatGPT permettent de travailler plus efficacement, ils peuvent également entraîner une augmentation des tâches quotidiennes et du stress, explique Thomas Wälti, gestionnaire de services TIC qui travaille depuis 23 ans pour Swisscom. Il a déjà remarqué que le nombre de ses tâches quotidiennes s'est multiplié au cours des deux dernières années: "Tout va très vite, on passe d'une tâche à l'autre". Alors qu'il lui fallait quatre heures pour préparer une présentation PowerPoint, il n'en a plus besoin que d'une seule grâce à des outils comme ChatGPT.
Selon lui, "les entreprises sont de plus en plus exigeantes, car la technologie le permet". Il explique également qu'il effectue tellement de tâches différentes chaque jour qu'il a parfois du mal à résumer sa journée à ses enfants lors du dîner.
La main-d'œuvre est mieux protégée en Europe qu'en Suisse
Ce printemps, l'UE a adopté le premier règlement au monde sur l'intelligence artificielle, qui impose des règles strictes pour l'utilisation des systèmes d'IA considérés comme présentant un risque élevé, par exemple dans le domaine de l'administration du personnel ou de l'accès à l'emploi.
En outre, le règlement général sur la protection des données (RGPD) interdit, à quelques exceptions près, les décisions entièrement automatisées, c'est-à-dire prises par des algorithmes sans aucune intervention humaine. Toutefois, de telles décisions sont acceptables en vertu du droit suisse si la personne concernée en est informée.
Ce n'est jamais une bonne idée de ne pas impliquer les employés
Certaines entreprises suisses qui développent et déploient des systèmes d'IA prennent déjà des mesures pour se conformer à la réglementation européenne. Swisscom en fait partie: "Tout système d'IA interdit par la législation européenne le sera également chez Swisscom", déclare Anne Sophie Morand, avocate et conseillère en gouvernance des données chez Swisscom.
Selon Anne Sophie Morand, les systèmes d'IA utilisés dans le domaine des ressources humaines doivent faire l'objet d'une attention particulière, car ils peuvent prendre des décisions concernant le personnel. "Si vous mettez en œuvre un système d'IA qui concerne la vie d'employés ou d'employés potentiels, il doit être vérifié soigneusement à l'avance", dit-elle. Swisscom continue de s'appuyer sur des employés humains pour le recrutement, car le risque d'ignorer de bons candidats serait trop grand.
Personnel non sensibilisé et non informé
Cependant, le personnel n'est souvent pas pleinement conscient des fonctionnalités de l'IA cachées dans les programmes qu'il utilise quotidiennement. Les plateformes de communication et de collaboration comme celles de Microsoft sont capables d'analyser les données sur les activités du personnel et de faire des prédictions sur les risques d'épuisement professionnel.
Microsoft Teams peut par exemple fournir des statistiques sur la participation aux réunions ou la présence à l'ordinateur, le nombre de messages et de chats initiés et bien d'autres activités. Ces fonctions sont souvent actives dans les logiciels utilisés en Suisse, même si la surveillance du comportement du personnel est interdite par la loi.
Pour ces raisons, Isabelle Wildhaber, qui a rédigé un rapport juridique au nom d'Algorithm Watch et du syndicat Syndicom, estime que "ce n'est jamais une bonne idée de ne pas impliquer les employés". Elle ajoute que si les employeurs impliquaient davantage les employés dans les décisions de l'entreprise, cela permettrait de créer un climat de confiance et d'accroître l'acceptation de nouveaux systèmes.
Enfin, Isabelle Wildhaber estime que la crainte des travailleurs de perdre leur emploi est justifiée. C'est pourquoi ils doivent se tenir au courant des évolutions technologiques, car les entreprises rechercheront des candidats qui savent utiliser l'IA: "Ces personnes seront les mieux équipées à l'avenir."
Sara Ibrahim (SWI)
Adaptation: ainh (RTS)
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Cet article est initialement paru en anglais sur le site de la chaîne Swissinfo et a été traduit par la rédaction de "dialogue". Vous pouvez lire l'article original sur SWI.
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