Les spécialistes des addictions réunis à Morges veulent briser les tabous sur la drogue
"En Amérique du Nord, par exemple, nous sommes face à une crise des surdoses liée notamment au fentanyl, alors qu'en Europe, la crise se concentre plutôt autour des stimulants", explique Camille Robert, co-secrétaire générale du GREA (Groupement Romand d'Études des Addictions).
Mais au-delà de ces spécificités régionales, les causes des crises demeurent universelles, telles que "l’augmentation de la disponibilité des substances, de la précarité et des crises sanitaires et sociales".
Face à ces défis communs, les approches diffèrent cependant d'un pays à l'autre. D'où l'importance, comme elle l'explique à La Matinale, des échanges entre pays francophones. La Suisse, par exemple, avec sa politique des quatre piliers — prévention, répression, traitement, réduction des risques — a développé un savoir-faire qui la rend pionnière. "Mais ça ne veut pas dire qu'on n’a rien à apprendre des autres pays."
L'espace de consommation de la Riponne, un exemple suisse inspirant
La visite jeudi de l’espace de consommation de la Riponne à Lausanne, juste avant l'ouverture du 4e Sommet des associations francophones des addictions, illustre bien les différences de moyens et de perspectives. Si cet espace suscite localement des craintes face à une augmentation de la présence de toxicomanes, les réactions positives des riverains sont souvent impressionnantes. En France, seules deux salles de consommation existent, à Paris et Strasbourg, et elles sont sous le joug d'une incertitude administrative. "Nos collègues français étaient impressionnés par ce qu'on arrive à faire en Suisse", se réjouit Camille Robert.
Même si des dispositifs similaires existent au Québec, les échanges restent enrichissants. "On peut discuter de l’accompagnement des personnes, de la gestion des cas de surdoses, etc. Ces échanges améliorent nos pratiques professionnelles", poursuit-elle.
Le défi du deal de rue
Autre sujet abordé par les associations présentes à Morges: le deal de rue. "Le deal de rue reste une problématique difficile à gérer, car il se situe en bout de chaîne d’un réseau international", analyse Camille Robert, ajoutant que les professionnels des addictions se concentrent surtout sur les personnes qui consomment. Pour elle, si la répression reste indispensable pour garantir l'ordre public, elle ne peut être le seul levier: "Finalement, pour résoudre le problème du deal, il faut réguler et intégrer ces marchés dans une économie légale."
Selon elle, il est essentiel de ne pas invisibiliser la consommation de substances, comme le font souvent les politiques en vigueur. "Vu que c'est tabou, on n'ose pas demander de l'aide ou appeler son médecin, ce qui entraîne de graves conséquences pour la santé", déplore-t-elle.
Un modèle pionnier à adapter
Les réalités évoluent vite, et la politique suisse des quatre piliers, bien que toujours innovante, doit s’ajuster. "Nous faisons face à des problèmes croissants en matière de santé mentale et de précarité, avec l'inflation et la baisse du pouvoir d’achat. Il est donc essentiel de renforcer les prestations sociales et de santé. Police, travailleurs sociaux, soins: il faut mettre plus de liant à tout ça", conclut-elle.
Propos recueillis par Valérie Hauert
Texte pour le web: Fabien Grenon
Le plaidoyer du "Manifeste de Lausanne"
Réunis à Morges pour le 4e Sommet francophone des addictions, les associations du secteur ont publié un manifeste demandant "une refonte des politiques liées aux drogues". Ce plaidoyer, nommé "Manifeste de Lausanne", demande de "briser les tabous sur les drogues".
Les spécialistes des addictions affirment qu'il est "urgent de changer de paradigme" en matière de drogue. Selon eux, il faut arrêter de "criminaliser les personnes usagères" et mettre fin au cercle vicieux de "la guerre à la drogue".
Le texte comprend plusieurs revendications. Comme, par exemple, de favoriser les prises de parole sur l'usage de drogues afin de justement "déstigmatiser" ces addictions. Il faudrait aussi que la consommation au travail ou dans le sport, bien que relevant d'une pratique privée, devienne "une question publique".
La nécessité de réaménager l'espace public, notamment avec des espaces de consommation sécurisée et d'accueil de jour, figure aussi parmi les revendications du manifeste. Celui-ci milite encore pour une meilleure prise en charge des mineurs.