Corinne Cap est indignée et tient à le faire savoir. Cette année, son mari et elle ont dû débourser 5900 francs pour leurs deux abonnements généraux (AG), soit une hausse de 320 francs. Une dépense qui passe mal pour ce couple de retraités actifs, qui tient à privilégier les transports publics pour ses nombreux déplacements.
La senior est d'autant plus fâchée qu'elle juge sévèrement la qualité de l'offre. "Au prix qu'on paye, on attend au moins d'avoir une place assise. Une fois, nous avons été voir nos petits-enfants à Zurich et nous avons dû faire tout le trajet assis sur des marches d'escalier. C'est encore possible à notre âge, mais peut-être que dans dix ans on ne pourra plus le faire", témoigne-t-elle dans l'émission Basik de la RTS.
Son mari juge les tarifs de l'AG exorbitants: "A un moment donné, on n'arrivera plus à se le payer. Beaucoup de personnes n'y arrivent déjà pas. On se moque du monde, de la planète et de nos enfants. C'est scandaleux."
L'augmentation de prix de trop
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les CFF ne fixent pas eux-mêmes leurs tarifs. Ces derniers sont décidés en commun par l'Alliance SwissPass, qui regroupe 250 entreprises de transport. Comment se négocie une hausse? Des poids lourds comme CarPostal ou les CFF ont-ils une influence particulière? "Les entreprises qui ont un grand impact économique ont un tout petit peu plus de poids", concède le directeur de l'alliance Helmut Eichhorn. "Par contre, aucune entreprise ne peut décider seule. Il faut toujours des majorités dans les décisions qui sont prises. Pour la hausse actuelle, il y avait une très large majorité."
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L'organisation de la branche des transports publics rappelle que ces dernières années, l'offre a continué à se développer, tandis que les tarifs de l'énergie ont pris l'ascenseur. Il fallait répercuter ces coûts supplémentaires sur les usagers, justifie Helmut Eichhorn. "On est en dessous de 4% de hausse en moyenne. Quand on voit ce qui se passe dans d'autres domaines, qui ont des augmentations de 10 ou 20%, nous considérons notre démarche comme très raisonnable", note le directeur.
D'autres domaines ont des augmentations de 10 ou 20%, nous considérons notre démarche comme très raisonnable
De son côté, le surveillant des prix n'est pas de cet avis. Il est intervenu pour limiter la hausse à 3,7% en moyenne, au lieu des 4,3% proposés par l'Alliance SwissPass. Stefan Meierhans reçoit de nombreuses plaintes de citoyens et citoyennes inquiets. Après les caisses maladie et les loyers, ces augmentations dans les transports publics sont la goutte de trop, explique-t-il. Il pointe la responsabilité de l'Etat et des entreprises qui lui sont proches.
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La Suisse a également des engagements climatiques à tenir. En signant l'accord de Paris, elle a promis de réduire ses émissions de moitié d'ici 2030. "Le trafic routier produit beaucoup de CO2. Il faut donc davantage miser sur les transports publics. Et là, l'élément prix est extrêmement important pour motiver les gens. Cette augmentation des tarifs est un contresens", estime Stefan Meierhans.
Un "billet climatique" en Autriche
L'Autriche a fait le choix inverse de la Suisse. Depuis deux ans, le gouvernement fédéral, qui regroupe la droite libérale et les Verts, finance à hauteur de 500 millions de francs annuels un "Klimaticket" ("billet climatique"). Cet abonnement général coûte l'équivalent de 1000 francs, soit quatre fois moins cher que le pendant helvétique.
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Une bonne politique de transports publics repose sur trois piliers, selon la ministre fédérale autrichienne du Climat et de la Mobilité: "Il faut de bonnes infrastructures, une bonne offre, mais aussi des billets bon marché. Nous travaillons très intensivement sur l'ensemble de ces trois piliers", affirme Leonore Gewesseler.
L'Etat autrichien va investir 21 milliards d'euros ces prochaines années dans les infrastructures ferroviaires. "Nous investissons aussi dans le prix du billet. Il faut aller de l'avant pour améliorer l'offre globale en transports publics et des prix accessibles en font partie", ajoute la ministre.
"J'ai de la parenté à Salzbourg et dans le Vorarlberg, c'est vraiment loin en voiture avec les enfants. A quatre, c'était tout simplement moins cher. Quand j'ai acheté le "Klimaticket", j'ai noté tous mes déplacements pour savoir si ça valait le coup financièrement. J'avais pris le ticket en novembre. En juillet, après huit mois, j'étais déjà rentrée dans mes frais", raconte une Autrichienne convaincue dans Basik.
Après les caisses maladie et les loyers, ces augmentations dans les transports publics sont la goutte de trop
Des abonnements plus flexibles
En Suisse, des initiatives locales visent à rendre les tarifs des transports publics plus attractifs. L'idée d'un "FlexiAbo" est née à Fribourg: au lieu d'un abonnement valable les 365 jours de l'année, cette carte coûte la moitié du prix de l'abonnement annuel et est valable 100 jours, qui peuvent être activés à la date souhaitée tout au long de l'année.
"L'idée nous est venue à la suite de sondages auprès de nos clients", relate Valérie Chanez, responsable opérationnelle chez Frimobil, la communauté tarifaire du canton de Fribourg et de la Broye vaudoise. "Les gens qui travaillaient à temps partiel nous disaient qu'acheter un abonnement annuel n'était pas rentable pour eux. Nous avons donc eu l'idée de ce "FlexiAbo" pour les personnes qui n'utilisent pas les transports publics tous les jours de la semaine."
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La crise du Covid-19 et le développement du télétravail n'ont fait qu'accentuer la demande. Le "FlexiAbo" a un effet incitatif bien réel. "Avant, on prenait la voiture pour amener nos quatre enfants à l'école ou ils prenaient le bus, mais c'était compliqué, car il fallait leur donner des sous. Maintenant, je peux activer moi-même leur journée "FlexiAbo" sur l'application. En plus, ça coûte moitié moins cher qu'avec des billets aller-retour", témoigne David, un jeune père de famille fribourgeois.
Aujourd'hui, le "FlexiAbo" a été adopté dans quatre cantons supplémentaires, dont Vaud, Neuchâtel et le Jura.
Alain Orange/iar